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signe avant-coureur de la guerre, à notre époque démocratique, c’est la température de l’opinion ; lorsque le pouls d’une nation bat à une cadence de fièvre, lorsque son sang bouillonne et que tout l’organisme vibre et frissonne, le danger est proche ; les argumens de droit, dans ces « momens psychologiques » de la vie d’un peuple, n’ont plus de prise et les gouvernemens deviennent impuissans à retenir l’élan national. Les temps de la vieille « politique des Cabinets » sont révolus, et le meilleur diplomate, aujourd’hui, est celui qui pénètre les vouloirs profonds des peuples et devine leurs impulsions spontanées.

Le 24 septembre, tandis que la flotte est mise sur le pied de guerre, que 90 000 hommes de la classe 1888, partis en congé illimité, sont rappelés sous les drapeaux, et qu’à Tripoli commence l’embarquement des étrangers, le chargé d’affaires d’Italie remet à la Porte une note où il proteste contre le péril que fait courir à la colonie italienne en Tripolitaine le fanatisme musulman et déclare que l’envoi de troupes ottomanes en Afrique sera considéré comme un acte « extrêmement grave. » Or on sait, à la Consulta, que, depuis le 21, le transport Derna est parti avec des troupes et des munitions : c’est le casus belli. Le gouvernement turc offre à l’Italie la plupart des garanties économiques qu’elle réclame : vaine démarche ; Rome répond, le 28, par un ultimatum, elle y dit que « l’expérience du passé a démontré l’inutilité » de ces concessions trompeuses, et que l’arrivée d’un transport turc à Tripoli constituant une provocation et une menace, elle est résolue à occuper militairement la Tripolitaine et la Cyrénaïque, « et s’attend à ce que le gouvernement impérial veuille donner les ordres nécessaires pour qu’elle ne rencontre, de la part des représentans ottomans actuels, aucune opposition et que les mesures qui en découlent nécessairement puissent être exécutées sans difficulté. » Un délai de vingt-quatre heures est laissé au gouvernement ottoman pour donner une « réponse péremptoire : » à peine est-il écoulé que la guerre est commencée ; un torpilleur turc est coulé à Preveza. Le 6 octobre, Tripoli est occupé presque sans coup férir.

Il est assez vain de rechercher si l’Italie a violé les règles du droit et de la justice internationale. Son agression et sa mainmise sur une province étrangère ne pouvaient assurément s’autoriser d’aucun précédent aussi caractérisé. L’annexion de la Bosnie-Herzégovine n’était que la régularisation d’une situation