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en Tripolitaine et en Cyrénaïque se heurtèrent, dès le temps d’Abd-ul-Hamid, à la mauvaise volonté, à l’inertie des fonctionnaires ottomans. Quand la révolution eut exalté son nationalisme, la Jeune-Turquie, loin d’ouvrir le vilayet africain aux entreprises civilisatrices et au commerce des Italiens, donna des instructions pour qu’aucune concession ne leur fut accordée ; les « droits » et « intérêts spéciaux, » reconnus à l’Italie par les puissances européennes, devinrent autant de raisons qui firent adopter comme règle, à Constantinople, de ne leur attribuer, en Tripolitaine, aucun avantage particulier. Les Jeunes-Turcs appliquèrent d’ailleurs cette méthode à toutes les puissances européennes partout où l’une d’elles cherchait à se prévaloir d’intérêts prédominans ou de droits anciens. Ce refus systématique de donner satisfaction aux demandes des Italiens, de laisser circuler leurs voyageurs, leurs prospecteurs, jusqu’à leurs archéologues, ce parti pris constant de tracasserie et de mauvaise volonté, menaçaient gravement les intérêts déjà établis en Tripolitaine ; les entreprises du Banco di Roma périclitaient. Des agens italiens, dans les rues des ports tripolitains, furent insultés ou menacés. Les Italiens purent se croire à la veille d’être évincés d’une contrée sur laquelle ils fondaient leurs dernières espérances d’expansion méditerranéenne. Cette attitude des Jeunes-Turcs, légitime à coup sûr, mais maladroitement appliquée, irrita vivement l’opinion dans la péninsule, lésa des intérêts respectables et offrit au Cabinet de Rome le prétexte d’une intervention armée. La note italienne à la Porte, le 25 septembre, parlait du « danger auquel est exposée la colonie italienne à Tripoli, du fait du fanatisme des musulmans, que les officiers softas excitent contre les Italiens ; » et dans l’ultimatum du 28, M. di San Giuliano visait « l’opposition systématique la plus opiniâtre et la plus injustifiée à laquelle s’est constamment heurtée toute entreprise italienne en Tripolitaine et en Cyrénaïque, » et « l’agitation qui constitue un danger imminent pour les sujets italiens et aussi pour les sujets de toutes nationalités qui, justement émus et inquiets pour leur sécurité, ont commencé à s’embarquer pour quitter sans délai la Tripolitaine. » Les Jeunes-Turcs, par leur intransigeance vexatoire, par leur attitude générale de défiance vis-à-vis des étrangers dont ils ne peuvent se passer, ont donné à l’Italie, tout au moins, un prétexte pour colorer son agression.