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et la presse anglaise démentit si bien ces bruits que l’incident se termina par une sorte de reconnaissance implicite, par l’Angleterre, des intérêts spéciaux de l’Italie en Tripolitaine.

Je me suis expliqué, au temps où ils furent conclus, sur les inconvéniens que présentaient les accords négociés entre M. Tittoni et M. Delcassé ; pour éviter de me répéter, je demande au lecteur la permission de le renvoyer à ces pages[1]. Quoique les Turcs ne l’aient réoccupée qu’en 1835, quoiqu’elle fût la plus négligée des provinces ottomanes, la Tripolitaine faisait partie intégrante de l’Empire ; elle était entrée avec lui dans le droit public européen sous la garantie des puissances, notamment de la France et de l’Angleterre, gardiennes traditionnelles de l’intégrité ottomane. Il devait paraître singulier que ces deux dernières puissances (reconnussent, par une convention écrite, des droits spéciaux à une troisième sur un vilayet de la Turquie. Peut-être a-t-on cru que jamais l’Italie ne chercherait à s’emparer par la force de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, qu’elle se contenterait d’y développer ses intérêts économiques et d’y favoriser l’installation de ses émigrans, jusqu’au jour où une dislocation de l’Empire ottoman ferait tomber entre ses mains cette part d’héritage. « Il importe que nos projets gardent un caractère strictement platonique[2], » disait un jour un ministre italien. Il paraissait vraisemblable que les intérêts économiques et politiques considérables que l’Italie possède dans toutes les parties de l’Empire ottoman lui sembleraient toujours supérieurs au bénéfice incertain de l’occupation directe des rives des deux Syrtes et des oasis du désert tripolitain. Mais il s’en faut que la politique des peuples soit toujours déterminée par leurs seuls intérêts matériels. On pouvait penser aussi que l’Allemagne et l’Autriche, qui, la première surtout, entretiennent des rapports d’étroite intimité avec le gouvernement du Sultan, calmeraient au besoin les ambitions impatientes de leur alliée. Ces calculs se sont trouvés faux. En politique, il n’est jamais prudent de compter sur des interventions extérieures pour empêcher les actes humains de porter leurs conséquences naturelles.

Les efforts des Italiens pour développer leurs intérêts économiques

  1. Voyez l’Empire de la Méditerranée, p. 325 et suivantes, 3e édition, 1904, in-8o.
  2. Cité par M. André Tardieu dans la France et les alliances, page 112 (1 vol. in-16, Alcan).