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Le « coup d’Agadir « eut, en Italie, un extraordinaire retentissement. L’opinion publique conclut immédiatement que la question un Maroc allait être résolue, qu’un protectorat français, partagé ou non avec les Allemands, allait y être établi. Ce fut, dans tout le pays, une commotion électrique. La presse nationaliste se lança aussitôt dans une ardente campagne de propagande, comparant l’activité des Allemands et des Français, dans la question marocaine, à l’inertie du gouvernement de M. Giolitti dans cette Tripolitaine que le public s’était habitué à considérer comme le lot de l’Italie dans l’Afrique du Nord. L’Italie n’était-elle donc pas, elle aussi, comme l’Allemagne son alliée, une grande puissance, et n’avait-elle pas droit, elle aussi, à des compensations, si la France acquérait le Maroc ? Allait-elle, à Tripoli ou à Tobrouk, se laisser devancer par de plus hardis ou de moins scrupuleux ? Les fêtes du cinquantenaire de la proclamation de « Rome capitale, » célébrées l’année dernière, avaient contribué à exalter le patriotisme et l’orgueil national. L’opinion publique était mûre pour accepter et appuyer une guerre d’expansion. Les adversaires de M. Giolitti comprirent tout le parti qu’ils pourraient tirer de ces dispositions du pays pour arrêter, par un moyen indirect, les lois sur le suffrage universel et sur le monopole des assurances que le président du Conseil prétendait imposer à sa majorité. Une très vive campagne commença dans le Giornale d’Italia, dans le Carriere d’Italia, dans la Stampa, en faveur d’une intervention énergique à Tripoli et, au besoin, de la guerre. On savait que le Roi et M. Giolitti étaient opposés à toute politique belliqueuse et considéraient que l’heure de réaliser les visées italiennes sur la Tripolitaine n’était pas venue, mais que, dans le ministère même, l’accord n’était pas parfait : M. di San Giuliano, ministre des Affaires étrangères, et son sous-secrétaire d’État, M. di Scalea, Siciliens l’un et l’autre, passaient pour pencher vers une politique d’intervention. Les adversaires de M. Giolitti, et surtout les mécontens de sa majorité, calculaient que, une fois l’opinion publique déchaînée, le ministre serait mis en demeure d’agir, que le président du Conseil s’y refuserait, et qu’on réussirait peut-être, sur cette question d’intérêt national et de sentiment populaire, à le renverser, sans que le Roi crût possible d’en appeler à de nouvelles élections. M. Giolitti comprit la manœuvre de ses adversaires et résolut de la