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constituer le nouveau Cabinet. La majorité libérale et conservatrice le vit avec étonnement prendre pour collaborateurs trois ministres et trois sous-secrétaires d’Etat du groupe radical qui ne compte guère que trente membres à la Chambre. M. Bissolati, chef du groupe socialiste, fut même appelé au Quirinal et reçut l’offre d’un portefeuille ; ce n’est qu’au bout de quatre jours de négociations qu’il se déroba en alléguant qu’il ne pourrait se plier à l’étiquette extérieure des fonctions ministérielles, mais en déclarant qu’il adhérait « sans conditions ni réserves » au programme de M. Giolitti. La lecture de la déclaration ministérielle, le 4 avril, acheva de répandre la stupeur sur les bancs delà majorité libérale ; M. Giolitti y accentuait son évolution démocratique. Son projet de réforme électorale qui supprime toutes les restrictions fondées sur l’instruction et accorde le droit de vote à tous les citoyens âgés de trente ans et ayant fait leur service militaire, c’est-à-dire le suffrage universel, provoqua du côté droit une vive opposition. Il en fut de même du projet de loi inspira par le professeur Nitti, ministre de l’Agriculture, portant création d’une caisse des retraites pour la vieillesse et l’invalidité, dont les ressources seraient obtenues par la constitution au profit de l’Etat d’un monopole des assurances sur la vie, les compagnies étant dépossédées sans indemnité. La droite libérale cria à la trahison sans que ni les républicains ni les catholiques se déclarassent satisfaits. Le ministère recueillit 340 voix contre 88, mais pas plus à Montecitorio qu’au Palais-Bourbon les votes ne représentent exactement l’opinion des députés. Une vive irritation contre la politique démocratique et socialiste de M. Giolitti subsistait. Le Corriere della Sera, le Giornale d’Italia, le Corriere d’Italia attaquèrent avec vigueur le projet Nitti. A la Chambre, les critiques furent si vives, même de la part des amis du ministère, que M. Giolitti amenda son projet. L’opposition n’en fut pas désarmée, et il fallut toute l’autorité du président du Conseil pour rallier une majorité de 289 voix contre 158 et 19 abstentions en faveur du passage à la discussion des articles. La session d’été fut close sur ce débat passionné et tumultueux (8 juillet). M. Giolitti sentait son autorité ébranlée ; de tous côtés, on dénonçait sa dictature ; ses ennemis cherchaient un moyen de le discréditer et d’obliger le Roi à lui retirer son appui ; ce moyen, ils crurent l’avoir trouvé dans la question de Tripolitaine.