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[1]. » Mot bien significatif dans sa spontanéité, écho populaire des exagérations nationalistes. Le souhait naïf de « n’avoir plus besoin des étrangers » traduit un sentiment qui est presque général, durant la crise actuelle, en Italie : c’est la défiance, l’inimitié même, contre tout ce qui est étranger. Ce violent courant de nationalisme intransigeant est un fait d’une haute portée politique. Un grand mouvement d’enthousiasme national, dont les causes remontent plus haut que la propagande des néo-nationalistes, a remué, jusqu’en ses fibres profondes, le cœur de la nation italienne. Quoi qu’il arrive dans l’avenir, cette vague d’émotion collective n’aura pas passé sans laisser de traces


II

Les nationalistes qui ont fait une propagande bruyante en faveur d’une intervention à Tripoli n’auraient peut-être jamais réussi à entraîner le gouvernement si le jeu des combinaisons parlementaires et des rivalités personnelles n’avait fait, qu’à un moment donné, le Roi et ses ministres, longtemps opposés à toute politique d’intervention militaire en Afrique, changèrent d’avis ; c’est ce revirement qu’il nous faut expliquer.

Depuis douze ans, l’Italie est, en fait, gouvernée par M. Giovanni Giolitti, ou plutôt par le Roi avec le concours et sous le couvert de M. Giolitti. Celui-ci a été quatre fois président du Conseil, et jamais le Roi, qui dispose exclusivement du droit de dissolution, n’en a usé sans que M. Giolitti fût au pouvoir pour présider aux élections nouvelles, en sorte que, même quand la Chambre supporte impatiemment son joug et serait disposée à le jeter bas, M. Giolitti est toujours assuré de la majorité. Les députés savent que, s’ils le renversaient, il reviendrait, un moment après, du Quirinal, avec un décret de dissolution, et qu’aux élections ses adversaires seraient décimés. Sous les formes et les apparences d’un régime parlementaire, c’est, en réalité, un régime à demi personnel qui fonctionne en Italie.

Le Cabinet Luzzatti, qui donna sa démission le 19 mars 1911, après un débat sur la réforme électorale, avait été faible et impuissant. Quand il se retira, M. Giolitti parut le seul président du Conseil possible, et le Roi lui confia aussitôt la mission de

  1. La guerre de Tripoli et l’esprit public en Italie, par L. R., intéressant article de la Chronique sociale de France de mars 1912 (Lyon).