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son action à le rendre grand et heureux… » « Si nous avions un homme à la tête du pays, le problème serait vite résolu. Notre guide aujourd’hui peut être une ombre. Et cette ombre s’appelle Francesco Crispi[1]. » Le nationalisme ne prêche pas, d’ailleurs, la guerre immédiate ; il lui suffit d’en entretenir l’idée purifiante et salutaire ; de même que « le mythe de la grève générale » émancipera le prolétariat, « le mythe de la guerre victorieuse » arrachera les Italiens aux petitesses de la politique électorale et de la politique d’affaires. Telle est la méthode qui conduira l’Italie à redevenir la première nation du monde, la nation du tu regere.

Les apôtres du nouveau Risorgimento diffèrent, on le voit, de l’ancienne école ; ils suivent des disciplines nouvelles ; ils ont médité Hegel, Schopenhauer et Nietzsche ; ils ont adapté à leurs besoins nationaux la philosophie de la force, la théorie de la volonté et la notion des élites dirigeantes ; ils ont lu Taine et Auguste Comte, M. Maurice Barrès et M. Charles Maurras, voire M. Georges Sorel. Ils ont un culte pour Napoléon, qui avait dit : « Je ferai de l’Italie la plus grande des nations de l’Europe. » Ils connaissent la force de l’opinion, et c’est sur elle qu’ils agissent ; ils ont des congrès, tels que celui de 1909 à Florence, où fut préconisée l’entreprise de Tripolitaine ; ils multiplient dans les principales villes italiennes les revues et les journaux : la Rivista di Roma, le Caroccio, la Preparazione, l’ltalia al Estero, le Tricolore, la Grande Italia, le Mare Nostrum, etc., répandent l’idée excitatrice d’énergie, exaltent l’orgueil national pour en faire jaillir de la force. Les apôtres de ce renouveau n’étaient, avant la guerre, que quelques individus distingués, mais isolés ; ils ont vu se rapprocher d’eux des fractions importantes des partis d’action. Syndicalisme et nationalisme communient dans

  1. Pour la première citation, Labriola : Storia di dieci anni (1899-1909). Milan, Casa editrice. « Il Viandante » : 1911, p. 21. Pour la seconde, G. Castellini : Tunisi e Tripoli (1911), p. 222.
    En septembre 1911, la Ragione publiait une lettre de Crispi que plusieurs journaux ont déclarée fausse (l’Unita du 23 décembre, par exemple), mais qui n’en est pas moins caractéristique au point de vue de la psychologie nationaliste : « Si (la France allait au Maroc), il ne resterait plus à l’Italie qu’un seul devoir à accomplir, subit, immédiat : l’occupation de la Tripolitaine… Même si la Tripolitaine n’était qu’un désert, qu’un rocher stérile, qu’un autel pour le sacrifice de nos fils, la bannière de l’Italie devrait s’y déployer au soleil, aux vents, aux tempêtes… Malheur à la nation si elle ne sentait pas dans son cœur, dans son esprit, dans ses fibres, la puissance suggestive de ce devoir sacré ! Elle ne serait plus digne d’affirmer : cette mer est mienne… »