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indiquer les grandes lignes et en marquer l’essentiel. Je n’y ajouterai aucun commentaire. Mais je puis bien avouer, en terminant, mon admiration pour cette pensée vigoureuse et probe, qui va droit au but et qui ne se satisfait que dans le grand. Par ce temps de petite littérature, de préciosité et de prétentieuse impuissance, de philosophies louches et d’esthétiques vacillantes, l’étude d’une telle pensée est un viril réconfort.


II

Que Salammbô ait été, comme nous le disions, l’application la plus stricte et la plus consciente de cette doctrine d’art, cela ressort évidemment de l’analyse de l’œuvre. Mais Flaubert lui-même nous en a avertis. Longtemps avant la publication de son roman, il écrivait aux frères de Goncourt : « Le drapeau de la doctrine sera, cette fois, franchement porté, je vous en réponds[1]. Cette fois, qu’est-ce à dire, sinon que Madame Bovary ne réalise pas complètement ce qu’il voulait faire ? Et il tenait tellement à ce qu’on en fût bien convaincu, qu’il l’a répété à plusieurs reprises, dans sa correspondance.

Que voulait-il donc faire? Les critiques, — et, en particulier, Sainte-Beuve, — ne se sont guère préoccupés de s’en enquérir. Qu’on relise les trois articles que celui-ci consacra à Salammbô, lors de son apparition, on sera surpris de la légèreté et de l’insuffisance de son jugement en un sujet aussi considérable. Peut-être cette chaude et sauvage Afrique dépassait-elle la compétence d’un petit bourgeois de Montparnasse, qui n’est guère sorti de son quartier et « qui n’a point pris l’air. » Les voyages servent tout de même à quelque chose. Et puis l’œuvre de Flaubert était trop haute pour lui. Ce qu’il faut à un Sainte-Beuve, ce sont des œuvres moyennes, des talens « à mi-côte, » comme il disait. Là, il est excellent. Les petites gens de Port-Royal, M. Lancelot, M. Lemaitre de Sacy, voilà ses cliens. Quand il aborde une grande figure, comme celle d’un Saint-Cyran, il l’esquisse faiblement.

Si j’insiste sur ce jugement superficiel de Sainte-Beuve, c’est qu’après lui, la plupart des critiques l’ont adopté sans variantes notables. A sa suite, ils ont affecté de ne voir dans Salammbô

  1. Correspondance, IIIe série, p. 183.