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vigoureusement mon opinion. Par malheur il était déjà dix heures ; le Corps législatif se réunissait à une heure, et la déclaration que nous devions lui lire, ainsi qu’au Sénat, n’était pas encore rédigée. Je dus quitter la séance et me retirer avec Dejean dans le cabinet de l’Empereur pour écrire ce difficile exposé.

A mon défaut, Chevandier soutint la discussion, pied à pied, sans se laisser entamer. Rouher et Schneider se joignirent à Persigny, parce que le retour de l’Empereur empêchait notre renversement. Alors nos collègues eux-mêmes, jusque-là aussi résolus que nous, se mirent à faiblir. Chevandier vint en toute hâte me prévenir de la fâcheuse tournure que prenait la discussion. — « Qu’y faire? répondis-je ; je ne puis quitter ce travail avant de l’avoir terminé. Du reste, peu importe ce qu’ils décideront, l’essentiel est que nous ayons la majorité à la Chambre. — Nous l’aurons. — Eh bien ! je reprendrai la question dans un conseil composé uniquement de ministres ; nous l’emporterons, et, s’il faut, j’irai moi-même à Metz chercher l’Empereur. Retournez batailler, je vais me hâter de vous rejoindre. » Je me hâtai autant que je le pus, mais lorsque je revins prendre séance, à l’unanimité moins la voix de Chevandier, le Conseil avait décidé que la dépêche à l’Empereur serait retenue.

Je donnai lecture de ma déclaration et le Conseil se sépara Palikao, qui en attendait la fin dans le salon à côté depuis quelque temps, fut alors introduit. Il salua l’Impératrice et échangea avec elle quelques paroles, puis je l’abordai, et, debout dans l’embrasure de la fenêtre, je lui dis : « Je vous ai mandé pour vous offrir le ministère de la Guerre. L’acceptez-vous ? — Me ferez-vous maréchal ? me riposta-t-il à brûle-pourpoint. — Y a-t-il des places vacantes ? — Oui, il y en a une. — Eh bien ! nous vous ferons maréchal, si cela convient à l’Empereur : c’est son affaire plus que la nôtre. — En ce cas il est bon, avant de prendre possession de mon portefeuille, que j’aille à Metz m’entendre avec l’Empereur ; je partirai à trois ou quatre heures. ; — Comme il vous plaira. » Je le quittai.

Tous nos collègues étaient partis, sauf Chevandier, à qui je racontai mon court dialogue et qui s’en alla de son côté donner l’ordre au télégraphe de retenir la dépêche de l’Impératrice. Quoiqu’elle eût été remise depuis plus de deux heures, quatre mots seulement en avaient été chiffrés. A la place une autre