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enlever à la Révolution son drapeau et ses têtes. Nous les mettrons bien poliment dans des wagons qui les conduiront à Granville ; là, ils trouveront un bateau de l’État qui ira les déposer à Belle-Ile où ils seront fort bien traités. Au fond, je ne suis pas sûr qu’ils nous en veuillent beaucoup de les tirer d’une situation périlleuse pour eux autant que pour nous. »

Je réfléchis un instant, puis je lui rendis sa liste : « Nous discuterons ces noms. Dès ce moment, je biffe celui d’Ernest Picard, car le président de la Gauche ouverte n’est pas un faiseur de complots. Ceci réservé, j’approuve en principe et je suis prêt à partager la responsabilité. J’accepte l’arrestation des membres de la Gauche et des chefs révolutionnaires, à Paris d’abord, en province plus tard, et leur envoi à Belle-Ile. Mais je ne veux pas que cette exécution ait lieu avant que nous soyons débarrassés de la régence de l’Impératrice. La partie que nous allons jouer est très grave ; nous y engagerons notre honneur, peut-être notre vie. Je consens à la risquer avec l’Empereur, jamais avec l’Impératrice. Elle se défie de nos idées et n’a pas confiance en nous ; moi, je me défie de ses conseillers intimes et je n’ai pas confiance en elle. Sans confiance réciproque, on ne se lance pas dans une aventure qui peut être traversée par des à-coups redoutables. Et je ne serais pas seul de ce sentiment. Baraguey d’Hilliers, dont le concours est indispensable, ne marchera pas avec elle ; avec l’Empereur, il ne fera pas une objection. Schneider accorderait à l’Empereur un concours qu’il refuserait à l’Impératrice ; Trochu lui-même peut-être mettrait un terme à ses bavardages et ne trahirait pas. Savons-nous quelles seront les dispositions de l’Impératrice et si elle se décidera à courir le risque ? Il serait difficile au dernier moment de ne pas demander son approbation, que ferons-nous si elle la refuse ? Agirons-nous quand même et la mettrons-nous en présence d’un fait accompli ? Mais si elle nous désavoue ?… — Je pense comme vous, répondit Chevandier, sur la nécessité de ramener d’abord l’Empereur et de terminer la régence.

« — Eh bien ! puisque nous sommes d’accord sur le point essentiel, discutons votre plan. Je lui reproche d’être un coup d’État mal préparé. Que Paris se réveille demain en apprenant sans explication que les députés de la Gauche viennent d’être incarcérés, on criera au coup d’État, et il s’élèvera contre nous un soulèvement de colère plus menaçant que l’insurrection que vous