Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son ministère une majorité compacte ; il eût été le négociateur écouté de l’accord que je comptais établir avec la Droite depuis que l’attitude révolutionnaire de la Gauche m’obligeait à la traiter en ennemie à détruire.

La présence de l’Empereur nous eût été utile d’une autre manière. Il avait conservé intactes ses qualités supérieures : le jugement, la clairvoyance, la netteté d’esprit. La maladie n’avait affaibli que sa volonté ; nous aurions voulu pour lui et il nous eût éclairés de ses lumières. J’arrivai donc à cette conclusion que le premier but que je devais poursuivre en ce moment était le remplacement de l’Empereur à la tête de l’armée et son retour à Paris. Il arriverait à l’improviste, adresserait un message à la Chambre qui se résumerait dans cette idée : « J’ai mis provisoirement à la tête de l’armée qui résiste à l’invasion le capitaine que m’a désigné l’opinion publique, Bazaine, et je viens combattre et écraser l’armée de la Révolution afin que nos soldats ne soient pas pris entre deux feux. » Même n’étant pas ainsi motivé, ce retour n’eût pas surpris ; il était tellement dans la nécessité des circonstances que Jules Favre l’avait réclamé quelques heures auparavant, précisément par la raison qui m’y décidait : l’insuffisance du commandement.

Depuis l’événement, Jules Simon a eu la franchise de reconnaître qu’en effet la sagesse était bien là et, qu’ « en ramenant l’Empereur à Paris, et surtout en supprimant la Régence, c’était tenter la seule chance de salut qui restait alors à la dynastie[1]. » Je tournais et retournais ces pensées et je m’y ancrais lorsque, malgré l’heure avancée, on m’annonça Chevandier.


VIII

Il arrivait tout ému, avec son air des jours de résolution. Il me dit : « La situation est des plus graves. Il n’y a pas un moment à perdre. Le danger est imminent. » Il me raconta que cet après-midi même avait eu lieu, rue de la Sourdière, une réunion des députés, des journalistes et des chefs révolutionnaires. Les chefs révolutionnaires récriminaient contre l’attitude trop prudente de la Gauche : elle aurait dû, comme les journalistes, réclamer un comité de défense choisi dans le Corps législatif, et

  1. Origine et chute du second Empire, p. 289.