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son moral, les affaires se rétabliraient ; sinon, tout était perdu.

Une seconde évidence me frappa non moins vivement : c’est que l’unique manière de retirer à l’Empereur son commandement était de le replacer à la tête de l’Etat en le rappelant à Paris. Entre les deux situations je ne concevais pas un terme moyen, car un souverain qui ne commande pas l’armée en campagne, ou qui, dans sa capitale, ne régit pas l’Etat, cesse d’être un souverain : il est déposé. Deux précédens revinrent alors à mon esprit. En 1812, Alexandre était à la tête de troupes qu’il perdait par l’impéritie de son commandement ; on disait dans tous les rangs que, ne commandant pas, il empêchait de commander, que, n’agissant pas, il empêchait d’agir. Il fallait qu’il s’en allât, ou l’armée était en péril. Paulucci, quartier-maître général, lui dit franchement « qu’il s’obstinait à faire un métier qui lui était parfaitement étranger ; qu’il ferait mieux de s’en aller à Moscou réchauffer les esprits, etc. » Alexandre eut le bon sens de ne pas se fâcher et de quitter son armée. A Moscou on l’accueillit par des transports d’enthousiasme. Cette sage résolution nous coûta cher. En 1828 et 1829, il en arriva autant à Nicolas dans la guerre avec la Turquie. Il reconnut lui-même, après avoir assisté à plusieurs combats, qu’incapable de diriger les opérations, il enlevait l’indépendance de leurs résolutions aux chefs de son armée. Et il retourna à Odessa, puis à Pétersbourg, en accordant au général en chef une pleine liberté qui aboutit à la victoire de Koulevitch et au traité d’Andrinople, et son peuple lui sut gré autant qu’à Alexandre d’avoir sacrifié son amour-propre au salut public.

Il me sembla que je ne diminuerais pas l’Empereur en lui proposant ces exemples, et qu’en les suivant, il acquerrait aussi, je n’en doutais pas, la reconnaissance nationale. Son retour à Paris aurait en outre la conséquence de mettre fin à la régence et cela me paraissait excellent. Dès que la guerre était portée sur notre territoire, les inconvéniens d’une régence apparaissaient dans leur réalité funeste. Il y avait deux gouvernemens fonctionnant dans des milieux et des circonstances différens : l’un à l’armée ayant toutes les attributions de la souveraineté, sans avoir aucun des intermédiaires légaux pour l’exercer ; l’autre à Paris, entouré de tous les dépositaires de l’autorité, mais ne possédant pas les prérogatives du pouvoir ; l’un tout aux émotions de la