Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûr d’obtenir la faveur du public, quoi qu’il décidât, Trochu aurait imposé ce mouvement qu’en dehors des affaires il conseillerait en vain. Mais s’il y avait de la lumière dans son cerveau, la nuit des misérables rancunes obscurcissait son cœur d’une fumée épaisse. Je lui proposais de l’introduire dans la grandeur, il préféra s’enfoncer dans les petitesses de la haine.


IV

Précisément à l’heure où se déchaînait devant moi la fureur aveugle d’un amour-propre en délire, une scène d’un autre genre se déroulait au ministère de la Guerre. Un homme d’âge, au visage ridé, mais à l’aspect martial, droit, dans une redingote étroitement serrée, se présentait dans l’antichambre du ministre et, s’adressant à l’huissier, d’une voix brève, habituée au commandement : « Annoncez le général Changarnier. » Introduit aussitôt, il dit au ministre : « L’Empereur a cru mon bras trop débile pour porter encore l’épée du commandement, mais il ne me refusera pas de m’associer au sort de notre armée malheureuse, d’en partager les vicissitudes, les souffrances et de l’aider des conseils de ma vieille expérience. Veuillez lui télégraphier que j’arriverai à Metz ce soir. » Le ministre se confondit en respect et promit qu’il allait télégraphier. Le général sortit du Cabinet la tête droite, l’œil rajeuni et d’un pas ferme, saluant de la main et du sourire ceux qui s’inclinaient sur son passage. Il se rendit à la gare, prit le train qui conduisait à Metz et y arriva à dix heures trois quarts.

Quel contraste avec la conduite de Trochu ! Changarnier n’avait reçu de l’Empereur que des coups, et Trochu avait été jusque-là comblé de faveurs. Trochu se préparait à précipiter celui qui l’avait comblé, et Changarnier allait au secours de celui qui l’avait proscrit. Les places de nos villes sont encombrées de statues dressées à des exploiteurs de patriotisme et il n’en est aucune nulle part pour celui qui restera avec Carnot le plus grand exemple du vrai patriotisme pur, noble, désintéressé.

Schneider succéda à Trochu dans mon cabinet. Mais c’était un autre Schneider, tout différent de celui de la veille. Depuis son refus si ferme de travailler à notre chute, on ne l’avait pas laissé respirer ; des hommes qui ne souhaitaient pas le renversement