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III

Le 8 août au matin, le Siècle publia en tête de ses colonnes, avec le Manifeste des Députes, un Manifeste des Journalistes, plus nettement révolutionnaire, qui jetait sans ambages l’appel à l’insurrection que la Gauche n’avait pas osé formuler : « La France est envahie. La presse démocratique de Paris réclame l’armement immédiat de tous les citoyens et l’institution d’un comité de défense, composé d’abord des députés de Paris. Que tous les patriotes se lèvent et se joignent à nous ! La patrie est en danger. »

Le défi nous était directement jeté à la face. Dans le Conseil du matin, Chevandier proposa de supprimer le journal en vertu de l’article 9, § 4 de la loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, permettant à l’autorité militaire d’interdire les publications de nature à exciter les désordres. Persigny le soutint et la majorité adhéra à cette proposition. Mais Baraguey d’Hilliers, qui aurait dû être le signataire et l’exécuteur du décret, fit des objections. A mesure que la discussion s’animait, ces objections s’accentuaient et allaient tourner à un refus sec, auquel il eût fallu répondre par une révocation immédiate, dont l’effet eût été désastreux. J’évitai la rupture imminente en proposant une transaction que tout le monde eut le bon sens d’accepter. Le Siècle ne serait pas suspendu ; seulement, le ministre de l’Intérieur, par une note insérée le soir même au Journal officiel, avertirait les journaux que la proposition d’un Comité de défense, telle qu’elle était contenue dans le Manifeste, serait considérée par le gouvernement comme une tentative anarchique de nature à compromettre la sécurité nationale, contre laquelle l’autorité militaire sévirait, si on la renouvelait. Le Réveil de Delescluze et le Rappel des fils Hugo n’ayant pas tenu compte de l’avertissement furent immédiatement supprimés.

Nous ne pouvions pas répondre de la même manière à la sommation des députés de la Gauche d’armer les habitans de Paris. Pietri eût voulu que nous opposions à ces revendications un refus absolu ; nous ne le pouvions pas, car on ne refuse pas des armes à une population à la veille d’être assiégée ; mais il nous était également impossible d’en donner à tous les citoyens. D’abord nous n’en avions pas les moyens matériels : Niel et Le Bœuf