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milieu d’eux, montrer l’Impératrice, déchirée dans son cœur de femme, de mère, dans sa fierté de souveraine, ne refusant pas leur expansion aux sentimens naturels, sachant cependant les dominer avec autant de maîtrise que si elle ne les avait pas éprouvés et nous laissant lire, au-dessus de la douleur qui assombrissait son beau visage, une fermeté, une décision, une volonté parlante sans paroles de ne pas se laisser abattre par la fortune adverse. Je vais être obligé de regretter certaines de ses décisions, je le dirai franchement, puisque je fais œuvre de vérité, mais je serais désolé qu’aucune de mes paroles parût un oubli du respect et de l’admiration qu’elle nous inspira à tous dans ces jours désolés.

Ce que je disais de l’état d’esprit de la population dans son immense généralité n’était pas moins exact. A la fin de la journée, elle se montrait ce qu’elle avait été au début : elle ne manifestait aucune surexcitation menaçante, et on put s’en convaincre dans les premières heures de la nuit. Baraguey d’Hilliers avait pris possession de son commandement d’état de siège par une proclamation très nette : « Habitans de Paris, la déclaration de l’état de siège me confère les pouvoirs nécessaires pour le maintien de l’ordre dans la capitale. Je compte sur le patriotisme de la population et de la garde nationale de Paris pour le maintenir. Tout attroupement est interdit. » Cela suffit pour que la majorité se tint tranquille. Seuls, quelques Intransigeans ne trouvèrent pas l’avertissement assez menaçant et essayèrent l’agitation dans la rue. Leurs bandes organisées se répandirent le soir sur les boulevards, se dirigeant vers le ministère de l’Intérieur et surtout de la Justice, et criant : « Des armes ! des armes ! » A la tête d’une d’elles un homme portait un gigantesque écriteau de calicot sur lequel était imprimé en noir : Armement immédiat du peuple de Paris ! Dispersées, ces bandes se reformaient plus loin ; les cafés étaient envahis, les tables renversées, les glaces brisées ; les boutiques et les passages fermés, la circulation interrompue dans la rue de la Paix et sur la place Vendôme. Mais la foule ne s’unit pas à la bande et ne seconda pas ses violences. La garde nationale, précédée des sergens de ville l’épée à la main, les dispersa, et la tranquillité se rétablit.