Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

invoquant pour cela des textes diplomatiques qu’elle a, croyons-nous, interprétés d’une façon arbitraire. Le droit de la Porte ne nous paraît pas niable et personne autre ne l’a nié. Mais le droit et l’usage qu’on en fait sont choses différentes, et on a pu se demander si le danger était tel que la Porte dût recourir, pour le conjurer, au moyen extrême de la clôture du détroit. Nous disons qu’elle dût et non pas qu’elle pût. Sans doute un pays est seul juge, en temps de guerre, de ce qu’il lui convient de faire pour assurer sa sécurité ; mais les neutres peuvent attirer son attention sur les inconvéniens qui en résultent pour eux, afin que les mesures prises et les interdictions qui en résultent ne se prolongent pas au delà de ce qui est strictement indispensable. Enfin, dans les affaires humaines, il n’y a rien d’absolu et, dans le domaine public comme dans le domaine privé, le monde vit des ménagemens que les uns ont pour les autres. Si la Porte avait maintenu la clôture du détroit sans une nécessité évidente, les mécontentemens contre elle auraient été en s’aggravant et l’Italie en aurait tiré avantage : elle a eu plus d’esprit politique et elle a détendu la situation à son profit en prenant la résolution de le rouvrir, sauf à le refermer si le même danger se reproduisait. Après avoir affirmé son droit, elle en a suspendu l’usage pour un temps qui peut être indéfini et qui durera ce que l’Italie voudra. C’était rejeter sur celle-ci la responsabilité éventuelle d’une nouvelle clôture. Quant à la Porte, elle avait fait preuve de bonne volonté, elle avait montré la plus grande considération pour les intérêts des neutres, elle était allée peut-être jusqu’à s’exposer par là à un danger : s’il éclate, qui pourrait lui reprocher les mesures qu’elle ne manquerait pas de prendre pour s’en garantir une fois de plus ? L’attitude des deux belligérans dans cette circonstance a été ce qu’elle devait être, légitime et correcte. Le coup a été porté habilement et paré de même.

Par malheur, ce n’est pas une solution : la guerre continue, sans qu’on aperçoive encore le moyen d’y mettre un terme. Il faudrait pour cela que l’Italie trouvât le défaut de la cuirasse ottomane et y poussât vigoureusement sa pointe : jusqu’à présent, elle ne l’a pas trouvé. Que faire ? Tout le monde aurait intérêt à la fin de la guerre, mais aucune puissance ne veut sacrifier à cet intérêt le maintien du principe de neutralité, moins encore par respect pour lui que par crainte des conséquences qu’entraînerait sa violation.

On a été surpris que, dans un moment où les affaires d’Orient traversent une crise si grave, l’ambassadeur d’Allemagne à Constantinople