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Quand Gisèle est devenue sa maîtresse, elle était mariée, elle avait trente-six ans, elle avait eu une aventure : elle savait ce qu’elle faisait. Non seulement il ne lui avait pas promis le mariage, mais pendant quatre ans de liaison, elle a été, sur ce chapitre, aussi muette que lui-même. Alors...

Ravardin est un politicien, mais vous, Laurent Bernard, vous en êtes un autre. Et je serais désolé de ne pas vous dire que de toutes les catégories de politiciens qui sont la honte de notre pays, la catégorie à laquelle vous appartenez est la plus méprisable. Comment ! Vous avez le front de venir nous dire : « Moi, mes opinions me dégoûtent ! » Et vous trouvez cela spirituel ! Vous apportez le concours de votre nom, de votre position sociale, et de votre fortune, sinon de votre talent, à une politique que vous jugez désastreuse pour le pays ! Vous trahissez en public tous les principes qui vous ont fait l’homme que vous êtes. Famille, patrie, religion, vous sacrifiez tout à un intérêt électoral ! Et vous n’êtes même pas ambitieux ! Un snobisme inavoué fait de vous le bourgeois révolutionnaire et le millionnaire anarchiste. Vous n’êtes pas le seul, je le sais, et vous avez pris modèle sur de notoires contemporains. C’est bien ainsi que je l’entends. Vous êtes hideux, tout bonnement. Et puisque les auteurs voulaient étudier la dégradation d’un caractère par la politique, ils vous ont fait tort en ne vous prenant pas pour type.

En somme, tous ces personnages sont également falots, et c’est comme tels qu’il eût fallu les traiter, en tenant la comédie uniquement dans le ton de la satire et sans mêler l’émotion à la raillerie. Mais c’est ici que se retrouve l’essentielle différence d’esprit entre deux collaborateurs, l’un et l’autre d’une originalité trop prononcée et d’ailleurs très savoureuse. La pièce a été pensée en drame par M. Bourget et en comédie légère par M. Beaunier. « Les conservateurs ont une manie, dit un personnage de la Crise : ils trouvent toujours leurs adversaires charmans. » C’est chez M. Bourget, non pas une manie, mais une coquetterie. Il prête aux personnages qu’il met en scène toute sorte de beaux sentimens dont ils seraient dans la réalité bien incapables. Par une loi même de son esprit grave et inquiet, il tourne toute situation au tragique. Ainsi a-t-il fait, cette fois encore, pour ces Ravardin, ces Laurent, ces Gisèle. Inversement, M. André Beaunier est porté à voir surtout, dans les acteurs du drame humain, la contradiction, l’inconsistance, l’absence de sérieux, tout ce qui en fait des ombres, de vains fantômes. L’ironie de M. Beaunier a volatilisé le drame de M. Bourget. Ou, si l’un préfère, M. Bourget a pris au sérieux