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Celui-ci, qui vient enfin de comprendre qu’elle est la maîtresse de Ravardin, n’en est que plus empressé à la vouloir pour femme. C’est d’excellente psychologie de théâtre. Gisèle se laisse faire une douce violence, Ravardin se consolera en constituant enfin son ministère : il n’est que temps !

Dirai-je que ce dénouement a laissé le public assez froid ? C’est qu’il était prévu depuis longtemps. C’est aussi qu’il s’était établi, entre le public et les auteurs, un certain malentendu. Le public s’est fait peu à peu sur les personnages de cette comédie une opinion assez différente de celle qu’on a voulu lui en suggérer. On a voulu rendre Gisèle et Laurent sympathiques et Ravardin odieux. Je ne dirai pas que notre sympathie aille à Ravardin ; mais nous trouvons qu’on est bien sévère pour lui, et qu’il n’y a aucune raison de voir en lui le loup de cette bergerie.

Gisèle... Que MM. Bourget et Beaunier me permettent de le leur dire : c’est en vain qu’ils ont accumulé en elle toutes les séductions ; une fée mauvaise, en la touchant de sa baguette, a, par une seule disgrâce, ruiné tant de dons précieux. Elle a de la beauté, de l’esprit, du charme, de la sensibilité, quoi encore ? Mais elle manque de tact. Nous en avons une preuve éclatante : cette démarche qu’elle fait auprès de Ravardin justement le jour où celui-ci est dans tout le tracas d’un ministère à constituer. Choisir ce jour-là pour venir demander à un homme de vous épouser, c’est un trait qui éclaire d’une lumière aveuglante un caractère et un passé. Dans ses relations avec Robert Vindel, qui ont coûté la vie à ce malheureux jeune homme, je veux bien que Gisèle n’ait pas manqué à la vertu ; sûrement elle aura manqué de tact. Elle en a manqué, en prenant pour amant, elle si distinguée, ce Ravardin si commun. Elle en manquait, tout à l’heure, en voulant faire du scandale dans l’antichambre de Ravardin ; elle en manquait en brûlant d’aller sur le terrain séparer les deux hommes. Elle en manquera jusqu’à son dernier jour. Or le manque de tact, choquant chez un homme, est impardonnable chez une femme. Jamais on ne nous fera accepter une héroïne qui manque de tact.

Pour ce qui est de Ravardin, c’est le politicien de métier ; je ne le défends pas. Mais enfin, puisqu’il y a une Chambre des Députés, il faut bien qu’il y ait des députés. Autant celui-là que d’autres, plutôt lui que d’autres, car il ne paraît pas fort dangereux : il n’est pas sectaire, il n’est pas mauvais homme. Il est parti de bas ; du moins, n’a-t-il pas eu à renier ses nobles ancêtres. Quel est son crime dans la vie privée ?