Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un intérieur cossu et bourgeois ; il lui faut un mari pour qui elle n’ait plus besoin d’être belle… Le couplet est joliment tourné, émouvant, et il a été applaudi par le public qui, lui, n’aura pas à soigner les rhumatismes de Gisèle. Il séduit médiocrement Ravardin, qui refuse. Pour motiver son refus, il allègue précisément des raisons politiques. Le voilà président du Conseil ; où ne montera-t-il pas ? Or Gisèle a été une femme irréprochable sans doute, mais qui a fait parler d’elle. Il faut au premier magistrat de la République une femme qui n’ait pas d’histoire, c’est-à-dire qui n’ait pas eu d’histoires. Même aujourd’hui, la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Mais si elle est impossible comme femme, Gisèle est charmante comme maîtresse. Ravardin entend bien la garder ; il l’aime réellement et elle ne le gêne pas : pourquoi changer ? Pourquoi ? si ce n’était que Gisèle a cessé de l’aimer et qu’elle aime Laurent. Une scène entre les deux hommes s’impose : la voici.

MM. Bourget et Beaunier l’ont traitée avec beaucoup de soin, et en ont fait la scène centrale de leur ouvrage. Si quelqu’un a jamais été étonné par l’offre d’un portefeuille, c’est Laurent Bernard. « Il tombe du ciel des croix qui ne choisissent pas leurs boutonnières, » disait un humoriste parodiant un mot fameux de M, de Curel. D’où peut lui tomber ce portefeuille ? Il l’accepte, cela va sans dire : il aura le Commerce, à moins que ce ne soit l’Agriculture. Mais il y a une condition : c’est qu’il n’épouse pas certaine dame dont il passe pour être amoureux. Gisèle ou le portefeuille ! Il choisit Gisèle. Ravardin n’en revient pas. Politicien dans l’âme, c’est le plus naturellement du monde qu’il mêlait les affaires de cœur et l’intrigue parlementaire, le drame intime et la comédie politique. Une veuve qui a eu des histoires, ce n’est pas très rare, tandis que l’occasion d’être ministre, si on la laisse passer, on n’est pas sûr de la retrouver. Ce Ravardin est d’un machiavélisme qui touche à l’enfantillage… Cependant l’entretien tourne à l’aigre : une rencontre devient inévitable.

Au dernier acte, la situation est renversée. Le duel a eu lieu. Tant de morts que de blessés, il n’y a personne de tué ; mais Ravardin a eu son chapeau transpercé par la balle de son adversaire et il a tiré en l’air. Il est enchanté de lui ; d’ailleurs la véritable cause de son duel s’est ébruitée ; on sait qu’il s’est battu pour une femme ; cela ajoute au prestige du politicien une auréole de romanesque. Un mariage, dans ces conditions, ferait le meilleur effet. C’est lui maintenant qui demande à Gisèle de l’épouser, et c’est elle qui refuse. Elle a pour cela mille raisons excellentes, dont la première est qu’elle aime Laurent.