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C’est décidément Ravardin qui est chargé de constituer le nouveau ministère. Il vient tout de suite apporter à Gisèle cette grande nouvelle. Il ignore que, pour une femme qui traverse une crise sentimentale, les crises ministérielles sont comme si elles n’étaient pas : elle porte dans son cœur tout un monde où les nouvelles du monde n’arrivent pas. Cette indifférence est si marquée que Ravardin lui-même est obligé de s’en apercevoir : certains détails qu’il rapproche l’éclairent, et lui désignent Laurent Bernard comme un rival sur le point d’être heureux. Mais il est habitué, dans la lutte électorale, à rencontrer des concurrens et à s’en débarrasser. Il a mis à la raison des adversaires autrement redoutables que ce petit député sans situation. La politique elle-même lui fournit un moyen tout simple d’en venir à bout : c’est de le faire entrer dans la « combinaison. » Il offre un portefeuille à Laurent et lui donne rendez-vous pour le lendemain dans la matinée. — Ce premier acte est un acte d’exposition très clair, plein de traits heureux et de jolies conversations, d’un tour un peu lent mais agréable quand même.

Le second acte va nous initier à la genèse d’un ministère. Il s’ouvre par un bout de scène très amusant. C’est le matin. Le président du Conseil est chez lui. Sa porte est positivement forcée par une petite femme que nous avons déjà vue au travail à l’acte précédent. Suzanne Landin est la femme d’un sénateur et elle a pour lui de l’ambition ; pour qu’Albert devienne ministre, elle est prête à tout faire auprès du président du Conseil, et aussi auprès du Président de la République, et d’ailleurs auprès de tous les présidens de qui pourrait dépendre le portefeuille d’Albert. Elle met dans ce dévouement aux intérêts d’Albert tant d’ingénuité, qu’on ne songe pas plus qu’elle à y chercher malice et qu’on est seulement touché par une si indiscutable manifestation de l’amour conjugal. Mais tout n’est pas aussi rose dans le métier de président du Conseil, surtout quand les affaires de l’homme privé viennent compliquer celles de l’homme public : Ravardin va l’apprendre à ses dépens.

Gisèle entre sans crier gare ; et, à brûle-pourpoint, elle met Ravardin en demeure de l’épouser. Quoi ! Tout de suite ! Le ministère n’est pas encore formé, et déjà une interpellation ! Cela est contraire à tous les usages parlementaires. Mais Gisèle n’en a cure. Elle s’est promis qu’elle poserait son ultimatum le jour où elle aurait quarante ans ; elle les a depuis hier ; elle est d’un jour en retard. Aussi bien elle ne peut plus attendre ; elle a soif maintenant de calme et de considération ; elle veut assurer son avenir ; il lui faut, pour y abriter un jour sa vieillesse,