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moins du tour qu’il lui donne. Il a appris à leur école l’ironie subtile et malicieuse qui circule à travers son œuvre très variée et en fait l’unité. Tour à tour critique, journaliste, conteur, on le reconnaît, à travers ses diverses incarnations, d’abord à sa manière alerte et spirituelle, mais aussi à une certaine façon qu’il a d’envisager le train du monde. Il lui semble que nous attachons énormément d’importance à beaucoup de choses qui n’en ont guère, et que nous prenons au sérieux des tas de gens quand le mieux serait d’en rire. Un de ses personnages nous conte qu’un boulevardier s’étant rencontré avec un astronome, chacun de ces deux messieurs s’en alla enchanté de l’autre, mais étonné qu’on pût pousser aussi loin la frivolité. Que de graves soucis dont l’inanité éclaterait à nos yeux, si nous en jugions comme il faut ! On s’irrite, on s’apitoie, quand il suffirait de hausser les épaules et de passer. On s’indigne, quand il serait si simple de mépriser et de dédaigner. La vie, pour qui sait la regarder, est une comédie.

Comment deux esprits si différens allaient-ils se comporter dans une même œuvre ? Leurs éminentes qualités allaient-elles se compléter ou se contrarier ? C’est ce que nous nous demandions en allant écouter la Crise. Les deux auteurs nous avaient au préalable renseignés sur leur dessein : ils ont voulu faire une comédie de caractère et peindre le politicien amoureux. M. Bourget s’en est expliqué, à la veille de faire représenter sa pièce, suivant la méthode adoptée depuis quelque temps par les auteurs dramatiques et si commode pour nous qui trouvons ainsi toute faite une bonne partie de notre besogne. « Il nous a paru curieux, écrivait donc dans le Matin M. Bourget, d’étudier dans ce personnage public qu’est le politicien la déformation du personnage privé. Car il y a une empreinte du métier sur le plus intime de notre être, qui nuance nos sensibilités et qui veut que nos habitudes d’esprit aient un retentissement sur les spontanéités de notre cœur. Voici un homme, — je parle du politicien, — qui est accoutumé à ne jamais dire tout à fait la vérité : il ne la sait d’ailleurs plus. Tout lui est programme, étalage, hâblerie. Il s’est dressé à toujours diriger son activité dans le sens d’une combinaison. Il est devenu habile jusqu’à en être roué, réaliste dans le plus médiocre sens de ce mot, qui bien compris peut être si beau, jusqu’à en être retors. Il a perdu tout scrupule dans le choix des moyens et sa délicatesse, quand il en a, n’est plus que de la subtilité. S’il est resté un beau diseur, son éloquence, car il peut en avoir, ne fait que déguiser l’égoïsme le plus brutal. Cependant cet homme est amoureux. Sera-t-il ramené, par ce