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nous, deux figures à la ressemblance du chancelier Rolin et de sa seconde femme Guigone de Salins, les donateurs de l’hospice célèbre.

Je dis : à la « ressemblance, » parce qu’en effet le hasard veut que nous connaissions leurs traits et le sculpteur ne pourrait prendre avec eux les libertés dont on est coutumier lorsqu’on figure des gens morts depuis quatre cents ans. Les érudits ont repéré les traits caractéristiques du chancelier Rolin, dans de vieilles miniatures à Bruxelles et à Vienne : les touristes de passage à l’Hospice de Beaune l’ont vu, lui et sa femme, à genoux sur les volets extérieurs du fameux retable de Roger van der Weyden, et il n’est guère de visiteur du Louvre qui n’ait été frappé par la longue et austère figure du même chancelier dans la Vierge au donateur, attribuée aux Van Eyck. M. Bouchard avait donc, pour le guider sur ce contemporain de Philippe le Bon, plus de documens qu’on n’en a sur maint personnage du XVIIIe siècle et de la Révolution. Chose plus précieuse encore, il maniait un vêtement plastique, à longs plis lourds : pour l’homme, la robe garnie de martre serrée à la taille par une ceinture et le chaperon ; pour la femme, la robe simple et la coiffe aux beaux méplats vraiment sculpturaux. Rien ne venait contrarier son sentiment de la ligne et de l’équilibre. Il a donc fait œuvre excellente. Ces deux grands bourgeois qui s’en vont pesamment sur la route du XVe siècle, en portant une petite église dans la main, sont au plus haut point archaïques, sans cesser d’être vivans. Le chancelier Rolin et Guigone de Salins auront, peut-être, grâce à lui, à l’Hospice de Beaune, la place d’honneur que doivent avoir des parens au milieu de leurs enfans.

D’autres œuvres capitales, comme la Vision antique, de M. Terroir, témoignent aussi de la supériorité du sculpteur français à représenter la figure humaine. On ne saurait trop admirer la calme beauté de ces pâtres, célébrant le rite éternel de l’amour et de la jeunesse dans les ruines du Temple écroulé. Mais cette année, ce sont les animaux qui tiennent le plus de place au Salon. Il y a partout des chiens, des cerfs, des bœufs, des chevaux : il y a même un zébu. Le bassin monumental de M. Gardet figure un Hallali, le cerf dans une île au milieu du bassin, les chiens groupés aux coins et aboyant, toute la scène disposée en motif décoratif, avec une parfaite vérité dans les diverses attitudes, mais sans aucun souci de la vraisemblance