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Du haut de la montagne, des médians font rouler sur lui des blocs de rochers qui obstruent le chemin... Il va, sans craindre, sans savoir, sans entendre, les yeux uniquement fixés devant lui, sur la route à suivre, les mains occupées à garder le livre intact et la flamme vivante. Sur sa poitrine, comme la plaque d’un ordre inconnu, il porte un cœur d’opale que mordent deux perroquets d’argent et d’où tombent des rubis allongés comme des gouttes de sang. L’homme et la nature sont également étranges. Il est pauvre, sa robe est çà et là rapiécée, — et pourtant il porte des orfèvreries précieuses et il a des gants d’évêque. Elle est infertile, abrupte, — et pourtant, çà et là, une touffe bleue a jailli dans une fissure de rocher, et acquiert ainsi un prix inestimable. Rien n’est cohérent, ici, ni explicable du point de vue strictement logique. C’est splendide et absurde comme une vision. En la quittant, on a bien le sentiment qu’on a vu le Santo : l’être humble et fier à la fois, qui suit sa pensée comme une voie étroite, qui ne tient pour précieuse que sa foi ardente et porte sa souffrance avec orgueil comme un joyau.

La couleur n’est pas moins curieuse que la conception. C’est une harmonie en gris et en mauve d’une délicatesse infinie, et le métier n’est pas moins curieux que la couleur : c’est de l’aquarelle franche, très large par endroits, traitée en d’autres comme une miniature, et présentant, sur les teintes locales, un semis de traits imperceptibles qui fait tout vibrer comme sous une averse de lumière. Si l’on regarde avec attention, l’on voit, sur les autres images du même artiste ce même semis d’atomes brillans : dans le ciel de la Sainte Ursule, dans le ciel de Bruges-la-Morte, sur la robe verte du poète agenouillé, dans maint autre endroit encore. On se rappelle alors les traits d’or dont les peintres du XVe siècle usaient souvent pour exprimer le chatoiement des angles lumineux sur leurs étoffes, et l’on trouve ainsi que M. Mossa ne ressuscite pas seulement la fantaisie et l’imagination des enlumineurs de missel, mais encore quelques-uns des procédés primitifs. Ces pages ne sont pas d’un dessinateur comme M. Rackham : elles abondent en partis pris bizarres et en évidentes incorrections, mais elles sont d’un coloriste beaucoup plus riche que l’imagier anglais. Elles entraînent, la pensée vers des régions plus diverses, elles se rattachent à un passé plus lointain. Depuis Gustave Doré, l’on n’avait