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font des signes, tous les cailloux l’appellent pour leur portrait : « Il y a des fées partout, seulement on ne les voit pas. Ordinairement elles font comme si elles étaient des fleurs. C’est, là, un de leurs meilleurs tours... » dit l’auteur de Piter Pan. Mais M. Rackham le déjoue. Il ne se laisse pas abuser par ces manigances. Il voit tous les êtres cachés qui complotent dans le creux des chênes et il entend, derrière son dos, leur éclat de rire. Il les « croque » au moment où ils s’y attendent le moins et leurs portraits répandus dans le monde entier, des deux côtés de l’Atlantique, apprennent à l’homme de quelle foule d’amis ou d’ennemis, grimés en herbes, en feuilles, en rochers ou en nuages, se compose la nature dite « inanimée. »

Ce n’est pas la première fois qu’on anime des plantes ou des fleurs, qu’on fait accomplir à des insectes des besognes humaines, mais c’est la première fois qu’on le fait en les laissant dans l’ambiance d’un paysage naturaliste et en les maintenant à leur échelle. De là, l’impression de mystère et de quasi-vraisemblance qu’on éprouve aux féeries de Piter Pan : ce sont de petits coins de forêt ou d’étang ou de jardin, admirablement dessinés, au fond desquels l’œil aigu de l’artiste a démêlé des êtres minuscules confondus dans les feuilles, comme l’œil de l’épervier ou du tiercelet, planant dans l’air, aperçoit la bestiole blottie au ras du sillon. Il leur a trouvé des traits qui rappellent des ridicules, des tendresses, des préoccupations des hommes : ce vieux corbeau qui fait des provisions dans son arbre est un sage et un avare ; ces rats qui courent, l’air affairé, sont des valets préposés au festin des fées ; ces coléoptères n’ont pas devant eux, comme il semble, un gros ventre, mais un violoncelle dont ils jouent avec application lorsque la fée, grande comme le petit doigt, vient danser sur le fil tendu en corde raide par sa servante l’araignée...

On voit comment procède l’imagination chez M. Rackham. Elle construit un monde conscient avec des matériaux scrupuleusement tirés de réalités infimes. On dirait une sorte d’entomologiste Fabre, qui peindrait au lieu d’écrire. C’est la poésie du microscope, le fantastique par la précision. Chose nettement anglaise et qui signerait ces œuvres clairement quand elles seraient anonymes. Chez les Imaginatifs de race latine, le fantastique est toujours l’indéterminé, ce qui s’évanouit dans le vague des formes : ils ont peur que toute illusion ne tombe si l’on