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l’ensemble est un enchantement. Rien, ici, ne détonne, et je ne crois pas que, dans l’étude du nu, tout au moins, la science des reflets lumineux ait jamais été poussée plus loin.

Après cette explosion de gaieté coloriste, c’est une page mélancolique et sombre que la troisième grande œuvre imaginative du Salon : les Quatre Élémens par M. Aman Jean, qui remplit tout un panneau de la salle V, avenue d’Antin. Mais c’est une page intéressante, comme toutes celles qu’a signées l’auteur et, aussi bien, elle est destinée à un lieu un peu austère : la Sorbonne.

Depuis le temps que les peintres s’obstinent à donner des figures aux quatre élémens des anciens : l’Air, la Terre, l’Eau et le Feu, il est surprenant qu’ils n’aient jamais songé à les signifier tous ensemble par une. seule figure, une figure plastique et pittoresque, antique et moderne à la fois, — un potier. Le potier travaille la terre, il ne peut lui donner une forme qu’avec l’eau, la lui conserver que par le feu, et il n’est pas de feu sans air. L’air d’ailleurs, retenu ou précipité, transforme entièrement la couleur de l’émail posé sur la terre durcie. La présence des quatre élémens est donc sensible dans l’œuvre de ses doigts : cette œuvre est elle-même, du commencement à la fin, plastique et depuis le moment où il brasse la terre pour la rendre malléable jusqu’à celui où il retire le vase éclatant de son four refroidi, tous les gestes du potier sont beaux. Il ne date point d’un temps plutôt que d’un autre et l’on ne voit guère de différence entre le geste du potier d’André de Pise sur le Campanile et celui que fait encore M. Delaherche à la Chapelle-aux-Pots. Voilà donc le mythe simple et plastique où apparaîtrait le mieux l’action des quatre élémens.

Mais c’est là, sans doute, une conception trop modeste pour les peintres : il leur faut des tempêtes, des inondations, des incendies, — ce qui transforme un symbole en une série de scènes de genre. Remercions M. Aman Jean de nous les avoir épargnées. Le Feu chez lui n’est qu’une flambée de feuilles, l’Eau qu’un ruisseau où se tiennent des naïades, la Terre qu’une femme portant quelques épis. L’Air, seul, est un peu ambitieux : dans le ciel, une figure passe comme un boulet de canon et courbe les arbres devant elle. L’ensemble est une vision de calme et de sérénité : une nature favorable et nourricière, des figures un peu lasses en des attitudes inexplicables, des formes enroulées sur elles-mêmes selon un rythme toujours semblable, des lignes indéfiniment