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« Il arrive bien souvent chez nous que ce n’est pas le général en chef qui engage les batailles et les dirige ; ce sont les troupes comme du temps des Grecs et des Troyens... Un sous-officier engage l’action, il est rejoint par un lieutenant ; le commandement passe ensuite à un colonel, jusqu’à ce que le général arrive sur le terrain avec toutes les troupes dont il dispose... » A parler exactement, dans ces journées de Wœrth et de Forbach, l’armée prussienne ne brille point par l’esprit d’initiative, mais par l’esprit de désobéissance.

Notre armée, sous ce rapport, est bien supérieure. L’initiative n’y manque pas : ne sont-ce pas des actes d’initiative (heureux ou malheureux, ce n’est pas la question) que les batailles même de Wœrth et de Forbach, engagées par Mac Mahon et Frossard de leur propre mouvement, sans aucun ordre de leur généralissime ? n’est-ce pas un acte d’initiative des plus heureux, que l’intelligence avec laquelle le lieutenant-colonel Gabrielli arrêta le mouvement enveloppant contre le Forbacherberg ?

En fait de désobéissance grave, je n’en connais que deux : d’abord celle de Failly ne se rendant pas à Bitche avec tout son corps et n’envoyant à Mac Mahon que la division Guyot de Lespart, et celle de Frossard rangeant son armée, moitié dans la vallée, moitié sur le plateau, au lieu de la concentrer autour de Forbach, puis se retirant sur Sarreguemines, non sur Gadenbronn ou Saint-Avold. De telle sorte qu’en ces deux journées, on peut dire que l’armée prussienne est une armée d’anarchie et notre armée une armée d’obéissance.

Tout pesé, une armée d’obéissance me parait supérieure. L’obéissance seule permet à un généralissime de concevoir un plan, de le mener à bonne fin et de faire une campagne d’Austerlitz ou d’Iéna. « Dès qu’un général sort des instructions qu’il a reçues, écrivait le Comité de Salut public aux généraux en chef, et hasarde un parti qui parait avantageux, il peut ruiner la chose publique, par un succès même, qui ne serait que de localité ; il rompt l’unité des plans, il en détruit l’ensemble. » (14 frimaire an II.) Le maréchal Lannes, arrivé avec deux corps au contact des avant-postes prussiens sur la rive gauche de la Saale, occupe Iéna évacué et rejette les Prussiens dans Weimar ; mais, quelque tentation qu’il ait de les poursuivre, il interroge d’abord l’Empereur (13 octobre 1806) : « Je désirerais savoir si l’intention de Votre Majesté est que je marche avec mon corps