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en Afrique. Le danger se rapprochait ainsi du Maroc précisément sur les deux points où il était vulnérable. Toutefois, la guerre l’avait épargné jusque-là L’ensemble du pays était soumis à une dynastie princière qui avait sa résidence dans l’antique ville de Tanger ; au Sud, les Gétules parcouraient en nomades les Hauts Plateaux, menace permanente pour les tribus agricoles du Tell. L’historien Salluste caractérise d’une phrase lapidaire la situation réciproque de Rome et du Maroc jusqu’à la fin du IIe siècle : « Le roi Bocchus régnait sur tous les Maures, Ce prince ne connaissait le peuple romain que de nom et lui-même nous avait été jusque-là entièrement inconnu dans la paix comme dans la guerre. »

L’ambition d’un prince numide, Jugurtha, fut la cause qui détermina la première intervention de Rome dans les affaires du Maroc. Le roi de Numidie, Micipsa, en mourant, avait partagé ses Etats entre ses deux fils Hiempsal et Adherbal, et son neveu Jugurtha. Les deux premiers avaient reçu en partage la Numidie orientale (département de Constantine), le dernier, la Numidie occidentale (départemens d’Alger et d’Oran) jusqu’à la Moulouïa, le fleuve Mulucha des anciens, qui formait vers l’Est la limite traditionnelle de la Maurétanie. Micipsa était à peine mort que Jugurtha se hâtait de faire disparaître ses deux collègues. Rome, longtemps retenue par l’imminence de l’invasion cimbrique et paralysée par la vénalité de ses représentans, se décida enfin à la guerre. Une armée romaine vint débarquer en Afrique. Le roi de Maurétanie, Bocchus, se trouva bientôt l’arbitre de la situation. Qu’allait-il faire ?

Ce roi Bocchus, le premier souverain marocain dont l’histoire laisse entrevoir la physionomie, nous apparaît comme un personnage fuyant et peu sympathique. C’est un despote à l’orientale, déloyal et fourbe, cruel et fantasque, versatile et méfiant. La ruse et la trahison sont ses armes favorites. Il trompe sans scrupules alliés et adversaires. Promesses et sermens ne lui coûtent guère, autant en emporte le vent et le temps arrange bien des choses. Il déteste l’Européen, intrus sur le sol africain, mais il le sait puissant et, comme il a le salutaire respect de la force, il le traite en conséquence ; somme toute, un proche parent de ces sultans dont le Maroc contemporain nous a offert plus d’un exemple.

Indécis tant que les Romains étaient loin, Bocchus prit parti