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mais un monument pour le peuple, un théâtre, dit tout le caractère de ce nouveau règne. C’est un art démocratique, un art qui ne se manifeste plus dans l’église comme en France au XIIIe siècle et à Rome au XVIIIe, mais dans un lieu de fêtes populaires, un art qui rappelle celui des Césars de l’ancienne Rome.

Avec Napoléon III la religion passe au second plan, les essais de reprise de l’art religieux du moyen âge tentés par la Restauration sont abandonnés, et à nouveau c’est l’imitation de l’Antiquité qui va réapparaître. Et, par un phénomène tout naturel, les mêmes pensées, les mêmes désirs, vont rapprocher l’art français de l’art romain du XVIIe siècle. L’Opéra de Garnier, les sculptures de Carpeaux, les peintures de Baudry, c’est l’art même du Bernin et de Pierre de Cortone.

Et, aujourd’hui encore, cet art sur bien des points redevient le nôtre. Après le recueillement des années qui suivirent les désastres de 1870, la France a cherché un art démocratique. Et s’il est vrai que son premier devoir fut de satisfaire aux innombrables besoins sociaux des sociétés modernes, si elle fut obligée souvent de restreindre, dans ses constructions, les parties purement ornementales, le peuple néanmoins souffrit de cette tristesse et l’un de ses plus grands désirs fut de la voir disparaître. Aussi le vit-on se passionner pour les grandes fêtes des expositions universelles. Là, toutefois, ce n’étaient souvent que des illusions de luxe, un art de clinquant, des architectures de staff et non de marbre ; mais, même sans avoir les richesses dont disposaient les maîtres du XVIIe siècle, c’est leur art que l’on cherchait à faire renaître.

Sans se risquer à d’incertaines prévisions sur les styles de l’avenir, on peut penser que l’humanité ne renoncera jamais entièrement à ses traditions, aux formes d’art qu’elle a créées au prix de si laborieux et si féconds efforts. Comment, par exemple, pourrait-elle renoncer à la colonne, la plus belle forme d’architecture que les hommes aient imaginée ? Et s’il est vrai que l’art grec copié servilement ne peut donner lieu qu’à des œuvres inutilisables, on peut penser qu’interprété avec liberté, comme l’ont fait les grands maîtres du XVIIe siècle, il peut encore admirablement servir pour faire naître les formes nouvelles que demanderont les civilisations de l’avenir.


MARCEL REYMOND.