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qu’ils signifient, les Anglais s’attachaient de plus en plus à pénétrer, fouiller et traduire le dedans de la créature humaine. Ils descendaient en elle plus profondément que n’ont fait nos romanciers psychologues, car ils ne se bornaient pas, comme le plus souvent Stendhal et son école, à suivre en des personnages qui s’analysent et dont la sensibilité n’est le plus souvent qu’un reflet de celle de l’auteur, des développemens et des involutions de pensée, des séries d’associations d’idées qui relèvent, comme les monologues de la tragédie classique, des activités lucides, du cerveau. Ils allaient jusqu’aux dessous obscurs où se forment, fermentent les sentimens, où s’élaborent les volontés. Ils cherchaient à saisir et rendre la personne même, son ton, son rythme singuliers, à nous en communiquer l’incommunicable, ce qui la distingue de toutes les autres, et par conséquent la constitue comme personne. Ils suivaient son long devenir, ils montraient dans le quotidien de son existence ses forces latentes, avant de les déployer dans le drame. Ils n’oubliaient pas, comme Beyle, l’être physique, produit des mêmes énergies qui développèrent l’âme et qui régissent ses mouvemens, forme visible et révélatrice, peu à peu dessinée, fixée dans la matière par le travail vital. Au dehors de l’individu, ils regardaient ce qui tient à lui, d’abord tout ce qui l’exprime, l’habitat qu’il s’est fait, ses accessoires familiers, qui sont des abrégés de biographie et se composent harmoniquement avec l’être vivant dont ils participent, — et puis ce qui l’influence, l’alentour social, la nature environnante, le paysage, étudié non pour lui-même, pour sa beauté indépendante, comme un pur thème d’œuvre d’art, mais dans sa relation avec le personnage, dans ses suggestions de sentiment et de rêve, dans ses correspondances avec les types, les mœurs et les idées.

Une telle curiosité du monde moral s’accompagnait chez les romanciers d’outre-Manche de recherches spéciales de métier. Il s’agissait de traduire ce qu’on découvrait, et l’on ne cessait pas de découvrir, la sensibilité aux faits, psychologiques s’aiguisant à mesure que l’on observait. Il s’agissait d’étendre et d’affiner l’art, de le superposer, détail à détail et nuance à nuance, à la réalité spirituelle dont chaque moment, chaque parcelle se révélaient toujours plus riches en élémens divers. On avait commencé par simplement raconter et commenter ; à la narration des faits on associa la description des états d’âme. Cette étude,