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de faiblesse sur le bûcher. Lord Valleys, lui aussi, vit frémir la petite pastille rouge, la porta à ses lèvres et l’avala.


Beyle n’a vu le type de l’énergie humaine que dans les violens sursauts, les dangereux élans de ses passionnés Italiens. Chez ces Anglais disciplinés se concentre une énergie supérieure à celle de la passion : la volonté. Mais à deux ou trois signes imperceptibles, — le feu d’un regard, une main qui tressaille. — vous avez senti l’ardeur et le conflit des deux hommes. De même, lorsque deux électricités sont en présence, les brefs crépitemens, les subites étincelles irritées révèlent la présence du fluide, font pressentir sa charge et sa tension.

Car de ces âmes les forces de désir et de rêve sont véhémentes, et d’autant plus qu’au lieu de.se dépenser à mesure qu’elles.se créent, elles s’accumulent au dedans, se condensent jusqu’au degré qui va produire, si quelque choc les détend, l’effet tragique ou l’expression lyrique. En général, les personnages de M. Galsworthy, qui peint des mœurs et des types, ne sont que moyens. Mais ils sont Anglais, capables de la vie intérieure la plus inten.se, et peu importe la petitesse ou la banalité de l’objet qui les passionne. Quand on connaît bien le hobereau qu’est Horace Pendyce, le clubman qu’est George Pendyce, la femme du monde qu’est Bianca Dalison, les marchands, les hommes d’affaires, les avoués que sont un Jolyon, un James, un Soames Forsyte, et qui vous donneraient envie de bâiller si vous causiez avec eux, on comprend ce que les individus de cette gentry, si dociles aux conventions de leur classe, si soucieux de bien copier le modèle imposé par la mode, peuvent receler, sous leurs apparences ordinaires et grégaires, de puissances de passion et de vouloir, — amour, haine, convoitise, rancune, méfiance, orgueil, opiniâtreté, besoin jaloux d’indépendance et de quant à soi, — quelles profondes énergies cachées nourrissent leur irréductible et solitaire personnalité.


C’est ici cette « hypertrophie du moi » dont l’égotisme n’est qu’un cas, et que Taine donnait comme la grande caractéristique anglaise. On dirait que dans ce pays de la brume et du gris, où les objets s’effacent à demi, où les activités de la nature sont