Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bosinney en prit un petit verre ; tout le monde se leva.

— Voulez-vous un cab ? demanda Soames.

June répondit : " Non. Mon manteau, s’il vous plaît, Bilson ! » Son manteau lui fut apporté.

Irène, près de la fenêtre, murmura : « Quelle nuit admirable ! Voilà les étoiles qui sortent ! »

Soames ajouta ; « Allons, amusez-vous bien ! »

June répondit : « Merci. Venez-vous, Phil ? »

Bosinney cria : « J’arrive ! »

Soames eut son froid sourire supérieur pour dire : « Je vous souhaite une bonne soirée. »

A la porte, Irène vint les voir partir.

Bosinney jeta : « Bonne nuit ! »

— Bonne nuit, répéta-t-elle doucement...

June voulut monter sur une impériale d’omnibus, disant qu’elle avait besoin d’air. Puis elle garda le silence, sa figure tournée vers la brise...


Je crois bien qu’elle a besoin d’air ! Elle doit avoir la tête en feu.

Mais a-t-on pu sentir ici ce qu’il y a de tendu, de frémissant dans ce dialogue d’apparence si tranquille? Pour qui n’arrive point à cette scène porté par tout le roman, il est bien difficile de suivre les secrets courans de passion qui s’y croisent et s’y heurtent. Reprenons-la pour en regarder de près quelques détails. Le début semble insignifiant. Déjà pourtant la passion vient imperceptiblement s’y traduire.

Bosinney hasarda : « C’est le premier jour du printemps. » — « Oui, le premier jour du printemps, » dit Irène à voix basse, en écho. — « Printemps ! » dit June, « il n’y a pas un souffle d’air ! » Trois petites phrases qui, sans doute, n’inquiètent pas le mari ; mais elles suffisent à nous annoncer le drame qui se joue entre les trois interlocuteurs, à nous donner le ton de leurs âmes. Sentez-vous déjà le rêve et la langueur des futurs amans qui se fascinent l’un l’autre? Ils remarquent le printemps, parce qu’ils sont dans l’étrange état où l’homme entre en correspondance avec la nature (de même, plus loin les mots murmurés de la jeune femme sur les fleurs, sur le coucher de soleil, sur la nuit et les étoiles). « Le premier jour du printemps, » le premier jour de leur amour aussi, celui de leurs aveux muets, que June vient de surprendre. Irène répond « en écho, » passive, magnétisée ; elle parle bas. Et soudain, coupant le courant qui s’établit entre eux, la brusque, nerveuse contradiction de la petite