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le fond vital et le dedans spirituel dont le dehors n’est que le signe, le principe secret d’harmonie d’où procèdent la forme et le mouvement de la créature.

Parce qu’il est si curieux de cette créature humaine, parce qu’il veut la voir et la montrer dans sa profondeur, ce romancier s’attache à tout ce qui l’exprime et la traduit aux yeux. Il ne se lasse pas d’en épier les aspects et les gestes. Le nombre et l’exactitude du détail concret, c’est ce qu’on remarque d’abord dans son art où s’atteste ainsi l’un des traits communs à toutes les créations du génie septentrional : génie sérieux, épris de beauté morale plutôt que de perfection plastique, mais trop soucieux de vérité vraie pour oublier, dans son rêve de l’idéal, le réel irrégulier et complexe, ou l’astreindre à la simplicité des formes abstraites. Devant les personnages de M. Galsworthy, on penserait, si la main qui les dessine n’était si légère et si preste, aux portraits que peignaient les vieux maîtres germaniques. Même attention, même sensibilité à tout ce qui constitue et manifeste l’infini de l’individu, et, dans cet infini, à ce qui est unique, telle combinaison singulière de traits d’une âme et d’un visage que la nature ne répétera jamais, — et à ce qui est général, expressif du type, de l’âge, du milieu, du métier. De là le ton fondamental de son œuvre. Inspirée par une foi, émue au fond d’amour et de pitié, elle procède avec le calme, la sérénité précise et délibérée de l’observation pure. Aucun des grands romanciers anglais de notre temps n’a si peu montré de sa personne dans son œuvre. Rien ici qui rappelle les élans de verve et les attendrissemens de Dickens, la prédication dissertante de George Eliot, les fantaisies de Meredith, les lyriques ardeurs, les tensions de volonté, les violentes clartés visionnaires de Kipling. Rien qu’une suite tranquille et serrée de fines petites touches posées d’un pinceau égal et sûr, chacune extraordinairement expressive et complémentaire de toutes les autres, s’y harmonisant dans l’unité de la vie, contribuant à nous traduire la relation de tel visage, de telles habitudes du corps, de telle physiologie, avec tels rythmes de vouloir, de pensée et de sentiment. A ce degré, l’imagination intuitive peut se passer de l’affabulation du roman. Le créateur des Forsyte peut user du privilège du peintre : il lui suffit d’évoquer des figures. Qu’elles soient significatives et marquées de caractère, qu’elles se composent suivant la profonde logique de la vie, que toute leur vie