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Après les scènes de la Chancellerie, je lui avais télégraphié de se rendre aux Tuileries. Ce départ lui avait paru prématuré ; elle s’était contentée de dépêcher le général Lepic aux nouvelles auprès de nous.

Lepic m’avait vu d’abord. Il s’était rendu ensuite chez Baraguey d’Hilliers. Il le trouva grognon, boudeur, compassé, et la seule assurance qu’il en obtint fut qu’il marcherait, mais seulement sur les ordres des ministres responsables. Au ministère de l’Intérieur, Chevandier lui donna une copie de la proclamation que nous venions de rédiger et qui allait être affichée, et l’instruisit de l’envoi de Maurice Richard à Metz. Il rapporta à Saint-Cloud que nous avions le front haut devant l’adversité, remit notre proclamation, et annonça le départ de Richard. « Cette proclamation, dit l’Impératrice, est incorrecte. On aurait dû me la soumettre, mais pour une question personnelle je ne soulèverai pas l’ombre d’une difficulté. » Le voyage à Metz de notre collègue l’avait contrariée davantage : « L’Empereur a déjà assez de ses tracas, nous devrions savoir porter les nôtres. »

Suivit un répit anxieux de quelques heures, puis éclata dans le Palais, comme un coup de tonnerre, la dépêche de l’Empereur sur les combats de Wœrth et de Forbach. Un effroyable cri de douleur s’élève ; les femmes sanglotantes se tordent les mains, les soldats demeurent muets et convulsés, les serviteurs effarés courent et se heurtent ; toutes les portes sont ouvertes, les salons et les chambres illuminés et déserts. Mon frère arriva, au nom des ministres, engager l’Impératrice à rentrer aux Tuileries. Elle partit immédiatement et nous accourûmes auprès d’elle[1].

Dans les appartemens mornes, aux meubles couverts de housses, à peine éclairés par la lueur pâle des lampes, nous soumîmes, à la souveraine accablée de douleur, mais courageuse, les

  1. On a raconté qu’au reçu de la dépêche de l’Empereur, l’Impératrice pria le prince Poniatowski de faire atteler un coupé et d’aller au plus vite à Bougival réveiller le prince de Metternich et le ramener parce qu’elle tenait à l’avoir à côté d’elle pour rentrer dans Paris en pleine nuit... Le prince de Metternich accourut à l’appel. Aussitôt l’Impératrice monta avec lui dans un landau. L’amiral Jurien, Gossé-Brissac, etc., s’installèrent dans une seconde voiture, et on fila à grand trot sur Paris... Lorsque le landau croisa l’avenue Marigny, il s’arrêta un instant : l’ambassadeur d’Autriche en descendit et rentra à pied à l’hôtel de l’Ambassade. — Je tiens de personnes présentes à Saint-Cloud à ces momens terribles que ce récit est absolument faux. L’Impératrice n’avait besoin d’être escortée par aucun ambassadeur étranger pour rentrer à Paris, même pendant la nuit. Elle envoya en avant MM. Augustin Filon et Gossé-Brissac pour préparer son arrivée aux Tuileries et elle suivit avec son service.