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L’effet de cette dépêche apocryphe avait été indicible. En un instant, la Bourse s’était vidée, la foule s’était répandue sur les marches de l’édifice, annonçant ce bonheur à ceux qui passaient. Les bravos, les cris, les chants de la Marseillaise avaient aussitôt éclaté avec enthousiasme. En un instant, la nouvelle avait envahi la ville et en se propageant l’émotion était devenue du délire. Toutes les audiences avaient été levées au palais de Justice ; on s’embrassait dans les rues en pleurant sans se connaître ; on rencontrait des gens que la joie avait rendus presque fous[1]. Depuis vingt ans, on n’avait vu Paris dans un pareil état. Deux chanteurs en vogue. Capoul et Mme Sasse, reconnus dans une voiture découverte, avaient été arrêtés, et, debout, avaient chanté l’hymne patriotique au milieu des trépignemens frénétiques de la foule.

Je hâtai le pas ; arrivé place Vendôme, je tombai dans un rassemblement très surexcité, furieux contre le gouvernement qui ne disait mot, et exigeant sur-le-champ la confirmation de l’heureuse victoire. Les jeunes attachés de mon cabinet, accourus au bruit, eurent grand’peine à me dégager et à me faire rentrer dans la cour du ministère. Là m’attendait une députation de négocians venue pour m’interroger. Je les détrompai. Mais la foule restée sur la place et qui grossissait toujours, criait : « Au balcon ! au balcon ! » Je m’avançai sur ce balcon et, d’une voix vibrante de douleur : « La nouvelle affichée aujourd’hui à la Bourse est une manœuvre indigne. Une enquête est ouverte afin de rechercher ceux qui, dans un moment si solennel, troublent ainsi la tranquillité publique que le gouvernement a toujours maintenue. Le gouvernement donne immédiatement à tous les journaux les nouvelles qu’il reçoit… » Une voix : « Dix heures plus tard ! » Cris : « Fermez la Bourse ! fermez la Bourse ! » Quelques voix : « Écoutez donc ! écoutez donc ! Vous avez promis d’écouter avec calme. » Nouveaux cris : « Fermez la Bourse ! » Vous demandez la fermeture de la Bourse. (Oui ! oui !) C’est une mesure grave ; elle ne pourrait être prise qu’après que le gouvernement en aurait délibéré ; je ne veux pas vous faire des promesses qui ne seraient pas tenues. (Bien !) Mais ce que je puis vous dire, c’est que toutes précautions seront prises pour qu’un acte aussi scandaleux ne puisse se renouveler. (Bravo ! bravo !)

  1. Siècle.