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que néanmoins, malgré cette énorme disproportion de forces, la résistance désespérée de nos soldats leur avait causé des pertes considérables.

Un cordial nous vint, à nous ministres, du général Trochu. Plichon lui avait demandé son avis sur l’événement ; il répondit : « Notre échec devant Wissembourg n’a rien de sérieux. La dépêche prussienne montre que la vaillante division du pauvre Douay a tenu tête au plus gros de l’armée du Prince royal, et lui a infligé des pertes considérables ; grande chance pour le maréchal Mac Mahon qui, rendu à pied d’œuvre avec trois de nos meilleures divisions, va entrer en ligne avec une prédominance morale et matérielle dont les effets me paraissent presque certains. Et puis nous allons voir cesser cet abominable chauvinisme qui représente partout l’armée française comme devant manger les Prussiens à la croque-au-sel. On aiguisera ses dents, on s’éclairera mieux dans les marches, et tout ira bien, je l’espère[1]. »

L’Impératrice ne s’était pas démoralisée. Plichon étant allé dans la soirée lui porter nos condoléances à Saint-Cloud l’avait trouvée une Bible à la main. Elle lui avait montré le passage qu’elle lisait en disant : « N’est-ce pas, que cela doit être interprété dans un sens favorable ? » Au Conseil, nos délibérations se prolongèrent plus que de coutume à l’occasion du traité avec l’Angleterre sur la neutralité de la Belgique, et nous ne rentrâmes à Paris que vers trois heures.


X

J’étais venu dans la voiture de Gramont jusqu’à l’Hôtel des Affaires étrangères et de là je rentrais à pied. A la place de la Concorde, je rencontrai des chevaux portant à leur tête de petits drapeaux ; en débouchant de la grille des Tuileries dans la rue de la Paix, j’aperçus la plupart des fenêtres pavoisées. J’eus un serrement de cœur indicible. J’arrêtai un passant et je lui demandai : « Pourquoi ces drapeaux ? Il y a donc quelque chose de nouveau ? — Oh ! oui, monsieur, on vient d’afficher à la Bourse la nouvelle d’une grande victoire de Mac Mahon. Il a fait 25 000 prisonniers et le Prince royal est du nombre. »

  1. Lettre de Trochu à Plichon, 6 août 1870.