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de garder un seul instant pour nous cette dépêche, notre résolution étant de ne jamais cacher une nouvelle, qu’elle fût bonne on mauvaise, dès qu’elle nous paraissait certaine. Nous avertîmes aussitôt l’Impératrice que nous nous croyions tenus, au lieu d’une transmission mystérieuse à nos collègues, à une communication immédiate au public. Elle y consentit et la dépêche fut affichée. Elle était ainsi conçue : (4 août, midi 45.) « Trois régimens de la division du général Douay et une brigade de cavalerie légère ont été attaqués à Wissembourg. par des forces très considérables massées dans les bois bordant la Lauter. Ces troupes ont résisté pendant plusieurs heures aux attaques de l’ennemi, puis se sont repliées sur le col du Pigeonnier, qui commande la ligne de Bitche. »

A sa divulgation tardive, cette dépêche joignait le tort d’être trop peu circonstanciée ; elle n’indiquait pas d’où elle était envoyée ; elle ne précisait pas le jour, l’heure de la bataille, les régimens engagés ; elle ne faisait pas ressortir la disproportion des forces, qui donnait le caractère d’une victoire morale à cette défaite matérielle héroïque. Le public en fut troublé.

La foule se pressait sur les boulevards, en proie à une pénible agitation ; de longues files de promeneurs serrés au coude allaient et venaient, arrêtés de distance en distance par des groupes qui stationnaient et où pérorait quelque orateur, fabricant de nouvelles plus ou moins suspectes. On s’écrasait aux kiosques des marchands de journaux. De temps en temps, au milieu de la chaussée, des jeunes gens qui rejoignaient leur corps passaient, un drapeau en tête, escortés d’une troupe d’amis et faisaient entendre, au milieu du bruissement de la foule, ces chants et ces refrains de la guerre qui prenaient alors une signification plus émouvante. Un rassemblement menaçant assaillit la boutique d’un changeur, de laquelle, disait-on, s’étaient échappées quelques paroles favorables à la Prusse, et la police eut grand’peine à le protéger contre les dernières extrémités.

L’esprit public ne fut un peu calmé que le lendemain matin )tar la lecture des dépêches (prussiennes et anglaises, beaucoup plus explicites que les nôtres, par lesquelles le véritable caractère du combat était révélé. Il y était dit que, de notre côté, il n’y avait en ligne que trois régimens et une brigade de cavalerie légère, tandis que les Prussiens avaient trois corps d’armée, et