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contre nous et accorder à l’Allemagne une victoire définitive.

Accepter provisoirement une défaite dans la pensée de prendre plus tard une revanche est une idée fausse. Quand on a accepté une défaite avant d’avoir lutté jusqu’à l’extrémité des forces, on ne prend pas de revanche. Mais une défense à outrance n’avait chance de succès que si les partis, oubliant leurs colères et leurs espérances, se réunissaient, ne formant qu’une âme, autour du gouvernement issu de la volonté nationale, qui n’avait commencé la guerre qu’avec le libre consentement de la majorité, presque de l’unanimité de la nation, et de qui la Liberté n’avait plus rien à craindre, puisqu’il l’avait donnée tout entière. Il fallait comprendre qu’à ce moment être bonapartiste, au moins provisoirement, c’était être Français. Alors, la crainte de la révolution ne troublant plus les esprits, en reprenant la tradition de Carnot, on serait revenu au plan que lui avait inspiré son expérience de 93 et on aurait adopté les résolutions qui étaient dans tous les esprits : faire revenir l’Empereur à Paris ; si on ne pouvait livrer de bataille offensive, soit entre la Moselle et la Sarre, soit entre la Moselle et la Meuse, laisser une garnison dans Metz, replier Bazaine et Mac Mahon sous la capitale, en défendre vigoureusement les abords, en empêcher l’investissement, y mettre, si on n’y réussissait pas, une simple garnison, reculer sur la Loire, s’y refaire, s’y compléter, et quand on eût été en état, se porter sur le flanc gauche de l’invasion et sur ses derrières. Autant qu’on peut juger d’une chose qui n’est point arrivée, les Allemands eussent été repoussés, battus : la terre qu’ils avaient voulu conquérir fût devenue leur tombeau et aujourd’hui ils ne monteraient pas la garde à Metz et à Strasbourg : c’est nous qui serions en faction le long du Rhin et qui nous écrierions comme autrefois Scipion : Victi vincerimus.

Il était insensé de croire qu’on pût espérer un tel succès d’une défense à outrance, si elle était poursuivie sur les ruines du gouvernement existant, et si on l’organisait autour d’un gouvernement d’aventure sans autorité, sans compétence, n’ayant d’autre titre que celui qu’il se donnait à lui-même. Quelle que fût la valeur des hommes, leur courage, la supériorité de leur intelligence, ils ne réussiraient pas à opérer ce miracle de créer presque de toutes pièces des armées et, en même temps, de reconstituer une administration, recruter un personnel, en un