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en vint (ce qui ne s’est jamais vu dans un autre pays) à considérer comme un immense éloge que de dire d’un homme d’Etat ; C’est un patriote. Je n’ai jamais entendu un Anglais louer de la sorte son Canning ou son Palmerston, un Italien son Cavour ou Garibaldi. Exalter fastueusement le patriotisme dans un seul implique qu’il n’existe point en tous.


VII

L’épreuve décisive du patriotisme et de sa lutte avec le partiotisme eut lieu après Waterloo. Le grand capitaine n’avait pas épuisé son génie dans la campagne extraordinaire de 1814 ; son plan de 1815 est un de ses meilleurs ; mais Grouchy n’arrive pas ; Bourmont passe à l’ennemi ; une panique irrésistible dissout l’armée ; il rentre à Paris. Cependant « sur les frontières et dans l’intérieur, rien, dit Thiers, n’était définitivement perdu, si à Paris on savait supporter le grand désastre[1]. » Il y eut alors trois conduites : celle de Talleyrand, celle de Lafayette, celle de Carnot. Talleyrand est à Vienne ; la Coalition, éperdue du retour triomphal de l’île d’Elbe, hésite ; l’intégrité de la patrie va être sauvée. Mais l’intégrité de la patrie avec Napoléon c’est l’effondrement personnel de Talleyrand ; le démembrement, au contraire, l’élèvera sur nos ruines : il ranime la Coalition, la renoue.

Lafayette est à Paris, membre important de la Chambre des Représentans ; il est l’obligé de l’Empereur, qui l’a aidé à sortir de sa prison d’Olmütz et auquel il a promis une éternelle reconnaissance. Mais c’est un républicain qui ne lui pardonne pas de n’être pas resté consul ; il déteste son passé de dictateur et il n’a pas confiance dans son avenir de libéral, l’Acte additionnel lui déplaît : il lui eût fallu une Assemblée constituante, une Constitution nouvelle. Lui ne pactise pas avec l’ennemi ; mais il prend au sérieux les proclamations des Coalisés qui disent faire la guerre à Napoléon et non à la France ; il croit que, l’Empereur à bas, ces Coalisés s’arrêteront et respecteront l’intégrité du territoire national. Donc, pas d’arrangement avec l’Empereur ; ne lui accorder aucun secours, lui demander l’abdication et, s’il s’y refuse, prononcer la déchéance.

  1. Le Consulat et l’Empire, t. XX, p. 305.