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fatigué, démoralisé ; il lui faut quelques jours de repos et puis ensuite on pourra en faire ce que l’on voudra. Malheureusement, la confusion et l’incohérence règnent dans les hautes sphères[1]. »

Cet état lamentable ravivait le désir qui hantait tous les esprits prévoyans d’obtenir de l’Empereur qu’il abandonnât le commandement. Dans la matinée, Lebrun vint très courageusement lui conseiller de remettre le commandement en chef entre les mains d’un des maréchaux et de rentrer aux Tuileries. Franceschini Pietri, modèle de fidélité intelligente et infatigable, renouvela la démarche de Lebrun. Il annonça en ces termes à l’Impératrice le résultat de sa tentative : « N’écoutant que mon dévouement, j’ai demandé à l’Empereur s’il se sentait assez de forces physiques pour les fatigues d’une campagne active, pour passer les journées à cheval et les nuits au bivouac. Il est convenu avec moi qu’il ne le pouvait pas. Je lui ai dit alors qu’il valait mieux aller à Paris réorganiser une autre armée et soutenir l’élan national, avec le maréchal Le Bœuf comme ministre de la Guerre, et laisser le commandement en chef de l’armée au maréchal Bazaine, qui en a la confiance, et à qui on attribue le pouvoir de tout réparer. S’il y avait encore un insuccès, l’Empereur n’en aurait pas la responsabilité entière. C’est aussi l’avis des vrais amis de l’Empereur. » (Metz, 8 août, quatre heures et demie du soir.)

L’Impératrice répondit à l’Empereur sur la communication de Piétri : « Avez-vous réfléchi aux conséquences qu’amènerait votre rentrée à Paris sous le coup de deux revers ? Je n’ose prendre la responsabilité de ce conseil. Si cependant vous vous y décidez, il faudrait que la mesure fût présentée au pays comme provisoire, et que le commandement fût confié provisoirement au maréchal Bazaine. »

Jusqu’à ce jour, tous les arrangemens stratégiques pris par l’Empereur étaient uniquement inspirés par des considérations militaires plus ou moins bien entendues, car l’opinion des ministres, quant à l’effet de la retraite sur Châlons, n’avait pas influencé ses résolutions. Désormais l’élément politique intervient, et les remuemens de Paris se mêlent aux difficultés de l’action militaire et les aggravent.

  1. Cité par le Récit historique de l’état-major français, t. IX, p. 172.