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lorsqu’il rentra à Paris en 1812, était entré à Moscou et avait remporté des victoires ; moi, je n’ai pas encore livré de combats, je ne puis imiter son exemple. » À ce moment, survint le Prince impérial, très surexcité comme il l’était toujours. L’Empereur le prit sur ses genoux et dit : « Je veux que tu sois juge de la question. » L’enfant, ayant écouté le débat, se récria : « C’est impossible, rentrer avant de nous être battus, ce serait un déshonneur. — Il serait affligeant, fit le général, qu’à votre âge on ne pensât pas ainsi, mais nous devons voir les choses autrement[1]. » La conversation en resta là

Ce qui ne pouvait en rester là, c’était l’exécution de la retraite sur Châlons. Dès que ce projet avait transpiré, il avait excité une vive réprobation. L’ahurissement d’en haut n’existait pas en bas ; l’ardeur des officiers et des soldats, un peu déconcertée, était encore très vive. Tout le mal, selon eux, venait du commandement, des ordres et des contre-ordres qui les harassaient ; ils étaient exaspérés de l’immobilité à laquelle on les condamnait ; qu’on mit à leur tête un véritable général, tout serait vite réparé. Toujours reculer ! mais ils n’avaient encore livré aucune bataille ; étaient-ils donc des lâches ? La grande majorité repoussait comme une honte inacceptable l’idée de retourner sur Châlons. Ce sentiment revint à l’Empereur de tous côtés. Il réunit dans la soirée du 7 août à huit heures un nouveau conseil auquel assistèrent Le Bœuf, les commandans de l’artillerie, Soleille, du génie, Coffinières, l’intendant général Wolff, Lebrun et Castelnau. Cartes déployées, on délibéra longuement, on revint sur la résolution du matin et on décida que l’armée, restant à Metz, attendrait, appuyée à la place, les événemens. L’Empereur en prévint l’Impératrice. « La retraite sur Châlons devient trop dangereuse, je puis être plus utile en restant à Metz avec 100 000 hommes bien réorganisés. Il faut que Canrobert retourne à Paris et soit le noyau d’une nouvelle armée. Ainsi deux grands centres : Paris et Metz, telle est notre conclusion. Prévenez-en le Conseil. Rien de nouveau. » Cet abandon de la retraite sur Châlons venait d’être décidé, le 7 août dans la nuit, lorsque l’Empereur reçut dans les premières heures du 8 août une seconde dépêche des ministres sur le projet de retraite, plus explicative que la première, et qui n’a pas

  1. Carnet de Castelnau.