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eût, quand il était près de Mac Mahon à Strasbourg, défait ce qui avait été convenu relativement à l’expédition de Sarrebrück, Avec la fougue de sa nature ouverte, il avait exprimé sa douleur au prince Napoléon : « Cela ne peut aller ainsi ; voilà Frossard qui, après avoir provoqué l’ordre d’attaquer Sarrebrück, déclare qu’il ne peut le faire ; il change son quartier général sans dire où il le porte : Frossard est indiscipliné ; Failly insuffisant. » Il s’anime, s’échauffe, et, prenant le Prince par le bras : « On ne peut faire la guerre avec un tel manque d’obéissance. Si cela continue, je me demande si je ne ferai pas bien de me brûler la cervelle. — Je ne suis pas assez de vos amis, répondit le Prince, pour vous répondre autrement que non ; si j’étais de vos amis, je répondrais peut-être autrement. — Savez-vous que vous n’êtes pas encourageant[1] ? »

Maintenant il était à bout de résignation. De nouveau très froissé de l’abandon ex abrupto avec lequel l’Empereur, sans attendre son retour et son rapport, tranchait un doute dont il était allé étudier la solution, il offrit sa démission de ministre de la Guerre et de major général. « Jusqu’à présent, dit-il, j’ai donné des avis que l’Empereur n’a pas suivis : je comprends que je n’ai pas sa confiance, et je ne peux plus remplir des fonctions qui supposent une confiance entière. Je demande à rester à la suite de l’armée jusqu’à ce que l’Empereur puisse m’employer ; j’accepterai, du reste, la responsabilité de tout ce qui a été ou n’a pas été fait. — Vous n’avez fait, répond l’Empereur, qu’exécuter mes ordres. » Il accepta la démission de ministre, refusa celle de chef d’état-major. Le Bœuf ne la retira pas. Il proposa divers noms comme remplaçans : « Bazaine ? — Il ne m’inspire pas confiance, répond l’Empereur. — Trochu ? — Un esprit biscornu. — Lebrun ? — C’est un brouillon. » Malgré les insistances de l’Empereur, Le Bœuf ne consentit à continuer ses fonctions que jusqu’à ce qu’on lui eût trouvé ce remplaçant. Désormais il ne sera plus que l’instrument passif des ordres qu’il recevra.

C’est en cette qualité qu’il écrivit une dépêche au ministre de la Guerre (2 h. 20 soir) : « L’Empereur insiste vivement sur la nécessité de terminer l’organisation des quatrièmes bataillons et des régimens de marche. Je suis étonné que les officiers

  1. Carnet du prince Napoléon, 29-31 juillet 1870.