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Saverne, de prendre la même direction ; on arrête le corps de Canrobert, dont la tête approchait de Nancy, on le renvoie à Châlons. On invite le ministre de la Guerre à diriger sur le camp tous les détachemens de réservistes.

Pour la défense de Metz, lorsque l’armée sera partie, Coffinières est nommé gouverneur et chargé de construire seize ponts qui faciliteront le passage de la rive droite de la Moselle sur la rive gauche ; il devra en outre constituer un approvisionnement de six mois. Ces mesures prises, l’Empereur télégraphie au ministre de la Guerre d’appeler à Paris tous les quatrièmes bataillons dont il pouvait disposer et d’y faire venir également les régimens d’infanterie de Corse, de Bayonne, de Perpignan et de Pau (moins leurs quatrièmes bataillons) et les deux régimens de Carcassonne et de Tarbes (7e et 8e chasseurs) qui avaient été laissés en observation sur les Pyrénées[1]. La retraite sur Châlons ainsi résolue et ordonnée, il demande au Conseil des ministres l’effet qu’elle produira.

Le Bœuf, de retour de Saint-Avold, est informé de toutes les mesures prises en son absence. Sa situation, depuis l’arrivée de l’Empereur à l’armée, était devenue intolérable. Selon une expression du prince Napoléon, l’Empereur « le faisait tourner en bourrique. » Il ne prétendait pas exercer le commandement en chef, il eût voulu seulement être un conseil écouté et acquérir ainsi sur les commandans de corps d’armée une autorité qui contribuât à mettre un peu de cohésion dans l’incohérence de l’ensemble. Mais il n’avait pas su comme Niel prendre de l’ascendant sur l’esprit de l’Empereur ; il avait trop gardé les docilités d’un aide de camp ; l’Empereur le consultait peu, l’écoutait encore moins et accordait l’influence à d’autres qui eussent dû lui être subordonnés. Lebrun ne restait pas dans sa situation de sous-chef auxiliaire : en contact incessant avec l’Empereur pendant les absences fréquentes du major général, souvent même lui présent, il était devenu son rival, le supplantant à tout propos. On avait ainsi deux chefs, agissant sans concert, l’un détruisant ce qu’avait fait l’autre. Le Bœuf souffrait de cette situation indécise et humiliée, d’autant plus qu’il sentait que, en dépit de tout, on le rendrait responsable d’une conduite qu’il ne dirigeait pas.

Il avait été une première fois déjà très offensé de ce qu’on

  1. L’Empereur au ministre de la Guerre, 7 août, cinq heures et demie du matin.