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ce fait pourrait-il se produire ? L’Italie compte peut-être sur les souffrances des neutres pour les amener à exercer sur la Porte une pression déterminante ; mais, à supposer que cette pression se produise, pourquoi s’exercerait-elle d’un seul côté ? Les puissances se diviseraient sans nul doute s’il fallait prendre parti entre les belligérans et, si elles se divisaient, les conséquences en seraient plus redoutables pour elles toutes que ne peuvent l’être celles de la guerre. Il est donc probable que la situation actuelle se prolongera encore quelque temps et il faudrait être prophète pour en prédire le terme.


Toutes les puissances, disons-nous, sont pacifiques. Il en est une qui ne néglige aucune occasion de dire qu’elle l’est, et sa sincérité est pour nous hors de doute ; c’est l’Allemagne ; mais elle pratique plus que toute autre le fameux axiome : Si vis pacem, para bellum, et c’est en augmentant sans relâche ses forces militaires pendant la paix qu’elle prétend éloigner le péril de guerre. Le moyen, suivant les momens, peut être efficace ou dangereux. Quand on a atteint, ou même dépassé certaines limites, il n’est peut-être pas utile d’accroître encore ses forces : en tout cas, on ne peut le faire sans obliger ses voisins à un effort correspondant. Ces armemens toujours croissans pèsent sur les peuples d’un poids toujours plus lourd, et il est presque inévitable que le moment vienne où même de bons esprits se demanderont s’il ne faut pas, ou profiter des sacrifices qu’on a multipliés et faire acte de force, ou prévenir des sacrifices nouveaux en liquidant la situation par une décharge générale. A force de préparer la guerre, on est tenté de la faire : les gouvernemens les plus maîtres d’eux-mêmes ne sont pas toujours sûrs de pouvoir résister jusqu’au bout à cette tentation, qu’elle se produise en eux ou autour d’eux.

Le Reichstag allemand discute en ce moment une nouvelle loi militaire. Il suffit, pour en montrer l’importance, de dire que le quinquennat, voté l’année dernière, portait à 610 000 soldats l’effectif de paix et que la loi nouvelle le portera à 653 000, ce qui, avec 30 000 officiers, fait 683 000 hommes sous les drapeaux. Cette augmentation redoutable coûtera 825 millions de marks, soit 1 milliard 31 millions de francs en cinq ans, de 1912 à 1917. Quand on voit de pareils chiffres, il est difficile de croire que le gouvernement qui les propose à l’adoption d’une assemblée n’aperçoit à l’horizon aucun péril de guerre : cependant, le chancelier de l’Empire, M. de Bethmann-Hollweg, a affirmé qu’il en était ainsi et même que la situation internationale n’avait jamais été plus rassurante, ni mieux assurée. Nous préférons ce