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le devinssent, il faudrait les encadrer beaucoup plus solidement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent. Une autre remarque qui a été faite est que nos troupes étaient trop dispersées et qu’elles manœuvraient trop souvent par petits paquets, ce qui était pour les Marocains hostiles une tentation de les attaquer et pour elles-mêmes une faiblesse. Il ne faut pas donner aux Marocains l’habitude de nous attaquer, mais, au contraire, les en décourager en leur montrant des colonnes très fortes, appuyées sur des points de concentration bien choisis et solidement établis. Nos points de concentration sont trop dispersés, nos colonnes ne sont pas assez nombreuses, nos efforts n’amènent pas des résultats en rapport avec leur énergie. Cela tient à diverses causes dont la principale est que le commandement, au Maroc, n’est pas encore organisé. Et nous ne parlons pas seulement du commandement militaire : il est indispensable d’avoir au sommet de tout une autorité unique, c’est-à-dire un homme investi des pleins pouvoirs du gouvernement de la République. Cet homme, où est-il ? Qu’il soit civil ou militaire, — et, malgré les événemens d’hier, nous ne renonçons nullement à un résident civil, — il aurait dû être nommé aussitôt après la signature de notre traité avec l’Allemagne. Nous l’attendons encore, le Maroc l’attend toujours, et pendant cette attente il n’y a pas de gouvernement à Fez. C’est ce qui explique l’ignorance où nous avons été et qui semble avoir été profonde, du mouvement dangereux qui se préparait. Peut-être M. Regnault, qui connaît les affaires marocaines et auquel on ne peut reprocher que de les avoir ramenées trop souvent à des idées préconçues, aurait-il prévu l’événement, l’aurait-il senti venir, enfin l’aurait-il annoncé s’il avait été depuis longtemps sur les lieux ; mais il était à Paris depuis plus d’une année et avait perdu tout contact personnel avec le Maroc. Nous n’insisterons pas : tout cela est le passé, et les critiques rétrospectives n’ont d’intérêt que si elles servent à préparer un meilleur avenir. C’est de ce côté qu’il faut regarder. M. Poincaré a une intelligence trop claire, trop nette, pour ne pas se rendre compte des nécessités de la situation présente. Sa responsabilité est trop lourde pour qu’il ne l’allège pas en s’en déchargeant en partie sur un résident général bien choisi. L’affaire de Fez peut rester une simple échauffourée si on prend rapidement et énergiquement les mesures nécessaires pour en prévenir la récidive. Dans le cas contraire, le mal, qui n’est pas seulement à Fez, se répandra dans le Maroc tout entier, où nous aurions grand tort de croire que nous sommes aimés parce que nous y apportons les bienfaits de la civilisation.