Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

merveilleux sang-froid que les premiers cris de détresse n’ont pas ébranlé. Seulement, quand tout espoir de sauver le navire a été perdu, les musiciens ont choisi dans leur répertoire des morceaux plus graves, mieux en rapport avec la situation, et on les a entendus jouer l’air du cantique dont voici les premières, paroles :


Quand tu viendras, ô mon céleste Roi,
Me recueillir dans ta pure lumière,
Que je redise à mon heure dernière :
Plus près de toi, mon Dieu, plus près de toi !


A quelque religion qu’on appartienne, ou même si on n’appartient à aucune, comment rester insensible à ce cri de l’âme poussé sur la profondeur des flots vers le ciel inexorable ? C’est dans de pareils momens que l’homme, plus près de la mort qui va le prendre que de la vie qui l’abandonne, montre vraiment tout ce qu’il est, ou plutôt tout ce qu’il est devenu : ceci soit dit à l’honneur de la race anglo-saxonne qui était, plus que toute autre, représentée sur le Titanic, et qui a fait d’une catastrophe sinistre un triomphe moral pour l’humanité.

Au moment où nous écrivons, l’enquête se poursuit encore en Amérique sur les circonstances du naufrage. Des imprudences ont été évidemment commises, et il importe de les découvrir pour en éviter le retour. Nous souhaitons qu’on y réussisse et que l’enquête produise, comme on dit, la lumière. Mais la catastrophe elle-même a eu la sienne et le spectacle qu’elle a éclairé n’a pas été seins consolations.


Les nouvelles du Maroc ont causé une vive surprise à ceux qui croyaient que, puisque nous étions enfin d’accord avec l’Allemagne, que nous étions à Fez, que le Sultan avait accepté notre protectorat, nous étions maîtres du pays. C’est une illusion qui témoigne d’une grande simplicité d’esprit : l’événement montre à quel point elle était décevante. Il est triste de penser que nous sommes allés à Fez il y a un an pour prévenir des massacres qui semblaient imminens, que nous nous sommes exposés par là à de très pénibles difficultés internationales, que nous avons assumé des obligations très lourdes, et tout cela inutilement puisque le massacre n’a pas été évité, mais seulement ajourné. Il a fallu reprendre la ville tombée aux mains des émeutiers et, pour cela, y faire rentrer, à l’aide du canon, les troupes cantonnées à quelques kilomètres de ses murailles. On avait cru