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boisées et sillonnée de ruisseaux pierreux. La solitude d’autrefois est devenue un lieu de villégiature. Mais l’église et le collège, où habita Liniers, sont toujours debout, avec la vaste salle carrelée du premier étage et son balcon surplombant l’étang. C’est de là que le Reconquistador, devenu un simple campagnard, comme il l’écrivait à son ami Echevarria, contemplait avec ravissement ses bois ombreux, ses prés couverts de bétail, et savourait l’exquise et rajeunissante douceur de vivre près de la terre, loin de l’agitation malsaine des villes, oubliant les hommes comme il était oublié d’eux.

Hélas ! ce bruit du monde qu’il voulait fuir, il en recevait l’écho par l’estafette à cheval qui, toutes les semaines, lui apportait, tantôt les nouvelles du haut pays, — tumultes précurseurs à Lima, propagande incendiaire à La Paz, qu’on noyait dans le sang indigène, — tantôt celles de la Péninsule où les armées françaises triomphantes occupaient déjà la Nouvelle-Castille. Enfin, des lettres de Buenos-Ayres annonçaient une imminente révolution des « patriotes, » lesquels, disait-on, n’attendaient que l’entrée des Français en Andalousie pour secouer le joug colonial. Parmi ces dernières, il s’en trouvait à chaque courrier une de Cisneros, exhortant son prédécesseur à se rendre aux ordres de la Régence de Cadix qui réclamait sa présence. Les prières et représentations devinrent si pressantes que Liniers, excédé, consentit ! il fit ses préparatifs, arrangea ses affaires, confia à son gendre le soin de sa famille, qui restait à Cordoba en l’absence du père ; enfin, le 30 avril, il se déclara prêt à prendre passage sur la corvette Descubierta, qui devait transporter à Cadix « Son Excellence l’ancien vice-roi de ces provinces. »

Il semble que tout conspirât à vouloir le sauver. Mais on n’échappe pas à sa destinée. Au lieu de s’embarquer au commencement de mai, comme il l’avait promis, il demanda un nouveau délai et fixa irrévocablement la fin du mois pour son départ de Cordoba. Il s’y trouvait, le 30 mai, chez le gouverneur, lorsque y tomba comme la foudre la nouvelle, apportée dit-on en quatre jours, par un collégien nommé Lavin, de la révolution de Buenos-Ayres. : Il ne s’agissait encore que d’une sorte de plébiscite, ou Cabildo ouvert, tenu le 22 ; mais il suffisait de connaître ceux qui l’avaient provoqué et la proposition mise aux voix (substitution d’un Comité exécutif à l’autorité