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après, compris dans un échange de prisonniers anglais, il vit le terme de sa lamentable odyssée.


VI

En une explication au peuple, bientôt suivie de la proclamation solennelle de Fernand VII, Liniers tenta vainement de ramener le parti espagnol que ses ennemis, — Elio et Alzaga en première ligne, — exploitaient contre son autorité. Après une lettre publique pleine d’outrages contre celui qui l’avait élevé, le gouverneur Elio, soutenu par la population de Montevideo, toujours jalouse de Buenos-Ayres, provoqua une assemblée populaire, laquelle déclara Montevideo séparé de la vice-royauté tant qu’un Français y commanderait, et nomma une Junte de gouvernement reliée directement à la Junte centrale d’Aranjuez. Ce scandale inouï d’un gouverneur subalterne, excitant publiquement au soulèvement de sa province et au mépris d’un représentant du vice-roi, était un signe des temps et un symptôme de la dissolution prochaine. Liniers, appuyé par l’Audience, destitua le rebelle, mais, renonçant à le soumettre par la force, attendit les événemens. D’autres embarras encore surgissaient du côté du Brésil, où l’infante Carlota de Bourbon, mariée au prince régent de Portugal, que l’entrée des Français avait chassé à Rio, se déclarait souveraine des colonies espagnoles, en l’absence de son frère Fernand. Liniers ayant repoussé une prétention qu’aucun acte de la Junte centrale n’autorisait, l’infante résolut de prendre parti pour la province rebelle et prépara même une entrée à Montevideo, sous la protection de l’escadre de l’amiral Sidney Smith, le fameux défenseur de Saint-Jean-d’Acre. Mais ce nouvel écart inquiéta le gouvernement anglais, et l’amiral fut rappelé.

Le levain d’anarchie qui travaillait la population coloniale en activait l’inévitable division : l’hostilité croissante du parti espagnol contre Liniers eut pour effet desserrer plus étroitement autour de lui le groupe créole, dont la forte légion des patrices représentait le noyau militant. Un complot séditieux, fomenté par Alzaga et ses partisans du Cabildo, fit éclater l’antagonisme désormais irréconciliable entre péninsulaires et natifs. Les conjurés, qui tenaient leurs conciliabules chez Alzaga ou même à