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suffirait à attirer en quelques heures un nombre double de volontaires armés. Son plan fut accepté, grâce au concours de quelques officiers de marine qui appuyèrent leur supérieur hiérarchique, et, l’expédition décidée, Liniers en fut nommé officiellement commandant en chef avec, pour second, son camarade et ami le capitaine de frégate Gutierrez de la Concha (père des deux généraux espagnols de ce nom), qui devait être son compagnon de gloire et d’infortune.

La division libératrice quitta Montevideo le 22 juillet et atteignit la Colonia le 3 août. Au dernier moment, Liniers avait dû accepter quatre compagnies (250 hommes) de milices montevidéennes dont les officiers, Chain, Larretta, Ellauri, Zuniga, etc., appartenaient aux meilleures familles, et qui, tous, firent bravement leur devoir. A Las Couchas, où l’expédition prit terre, 400 ou 500 hommes s’y adjoignirent : marins espagnols de la flotte et volontaires buenos-ayriens. Mais la recrue la plus importante fut celle du vaillant corsaire français Hippolyte Mordeille, qui, avec 73 matelots débarqués de sa corvette Dromadaire, offrit son concours spontané à la reconquête et s’y couvrit de gloire. Le 4, la petite armée, dont l’effectif ne dépassait pas 1 300 hommes, entreprit sa marche sur Buenos-Ayres.

Elle fut extrêmement lente et pénible. Pour éviter une attaque de Beresford en rase campagne, il fallut décrire une grande courbe à l’Ouest, jusqu’aux marais de la Chacarita (ancienne ferme des Jésuites), où l’on ne parvint que le 9. Liniers était l’âme joyeuse de la troupe : tous les témoignages s’accordent sur cette bonne humeur inaltérable qui est la satisfaction robuste et comme le rayonnement de l’héroïsme en activité. Le lendemain, qui était un dimanche, le temps se remit, et l’on voulut voir un heureux présage dans le clair soleil qui permit aux compagnies rangées d’entendre à l’air libre la messe, célébrée dès l’aube par le chapelain uraguayen Larrañaga, ardent patriote et naturaliste amateur estimé de Cuvier. L’office à peine terminé, la division se rapprocha de la ville, jusqu’à une demi-lieue vers l’Ouest, aux abattoirs dits Corrales de Miserere, qui sont aujourd’hui la Place du Onze-Septembre. Nous retrouverons cet inévitable point stratégique, lors de la seconde invasion anglaise. On y était à dix heures du matin, et c’est de là que Liniers adressa au général anglais la sommation de se