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le débarquement des chaloupes anglaises, que 500 hommes bien postés auraient changé en irréparable désastre, l’inspecteur général Arce résolut le lendemain de barrer le chemin à l’ennemi formé en bataille, à Quilmes même. Les forces espagnoles lâchèrent pied aux premières décharges et ne se refirent que sur le Riachuelo, où, se joignant à quelques compagnies de milices, elles tentèrent de disputer le passage du gué. Mais, les munitions manquant, on battit en retraite ; d’ailleurs, un ordre supérieur arriva qui enjoignait aux troupes de se replier sur le Fort afin d’obtenir une « honorable capitulation ; » c’était le dernier geste héroïque de Sobremonte, avant de s’enfuir à Cordoba. Quelques heures après, les troupes anglaises pénétraient dans la ville sans coup férir, et le général Beresford, installé dans la demeure des vice-rois, y dictait son premier décret comme « gouverneur de Buenos-Ayres pour Sa Majesté Britannique. »


III

Le lendemain, chefs et officiers, prisonniers sur parole, prêtèrent le serment d’usage. Quelques jours plus tard, le 5 juillet, sur invitation écrite du Cabildo, qui fonctionnait toujours, les corporations civiles et ecclésiastiques, les alcades de quartiers, tous les notables de la ville vinrent au Fort, à midi sonnant, jurer fidélité à Sa Majesté George III. Seul, un obscur officier de marine, commandant du poste maritime de l’Ensenada, et comme tel non compris dans la capitulation, s’était abstenu de tout engagement. Il obtint par un Irlandais de ses amis un sauf-conduit de quelques jours pour visiter sa famille : ce fut ainsi que Jacques de Liniers, capitaine de vaisseau au service de l’Espagne, put, sans manquer à l’honneur, accomplir le dessein hardi qu’il avait conçu.

Il était descendu chez son beau-père Sarratea où habitaient ses enfans. La spacieuse demeure coloniale se dresse encore en face du couvent de Saint-Dominique, à quatre cents mètres du Fort. Liniers s’y trouvait à merveille pour étudier la situation. Par les Sarratea et surtout par les Dominicains, qui avaient un œil partout, il fut promptement renseigné sur les forces anglaises et les dispositions des habitans. On ne reprochait aux