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utile sans qu’ils y cherchent un avantage palpable. Dans le monde indigène surtout, il faudra veiller à ce que l’argent provenant des faveurs de la colonie ne soit pas détourné vers des mains trop peu nombreuses ou à des fins peu productives.

C’est ici un des points sur lesquels on peut le mieux se rendre compte des effets pernicieux qu’aurait une émancipation prématurée de nos sujets ; le jour où ils seraient livrés à eux-mêmes, il serait à peu près impossible de faire fonctionner utilement parmi eux l’organisation du crédit qui dégénérerait en une lamentable gabegie. On sait trop ce que devient cette institution parmi nos compatriotes eux-mêmes, là où la politique s’en empare ; le moindre mal qui puisse résulter de son intrusion est de détourner les caisses agricoles de leur but en les ouvrant clandestinement au petit commerce. En Algérie, la surveillance de ces associations a été récemment resserrée, sur la demande même de quelques-unes d’entre elles dont la gestion pourrait servir de modèle à pas mal de leurs congénères de France. On ne saurait trop se prémunir contre toute corruption de cette partie essentielle de notre œuvre.

Négligence et gaspillage, tels sont malheureusement les grands écueils de l’intervention publique, en ce domaine plus qu’en tout autre, et pourtant elle est indispensable en pareille matière. L’Etat doit agir où l’action privée a défailli ; l’agriculture algérienne ne peut progresser sans le crédit ni, sauf exception, y accéder sans l’appui de la collectivité. Un audacieux trouvera des millions dans les banques pour créer un énorme domaine, au mépris de toute prudence, plus facilement qu’un modeste colon ne fera escompter chaque année quelques milliers de francs pour payer ses frais de culture. Si la France, avec sa richesse acquise et la puissance de son épargne rurale, a jugé utile de mettre plus de 50 millions à la disposition de ses paysans, combien seraient-ils plus nécessaires à une terre presque entièrement vouée à la culture la plus primitive, faute de disposer de quelques écus par hectare pour les labours de printemps, à un pays où le bétail meurt de faim dans le Nord pendant les hivers froids et végète dans le Sud faute de points d’eau aménagés.

Notre suggestion irait d’ailleurs, non pas à fortifier l’intervention de l’Etat, mais à la réduire en substituant aux avances gratuites la garantie de la colonie ou ses prêts à prix coûtant,